La légende de la fleur de mai – Simon Pokagon
ou : Comment le printemps chassa le dur hiver
L’origine de l’arbutus rampant (epigaea repens), fleur emblème de la nation Potawatomi.
« L’hiver qui nous tourmente
S’obstine à nous geler
Nous ne saurions parler
Qu’avec une voix tremblante
La neige et les glaçons
Nous donnent de mortels frissons… »
Chœur des Trembleurs, Lully, Isis, acte IV, scène 1 (1677)
Il y a des lunes et des lunes, vivait seul dans sa cabane, en pleine forêt, près d’un ruisseau gelé, un vieil homme aux cheveux longs et blancs, tout emmitouflé dans d’épaisses fourrures. C’était l’hiver. Partout, ce n’était que neige et glace. Un vent violent forçait les oiseaux à se réfugier dans les arbres et les buissons pour se réchauffer et chassait les mauvais esprits des hautes collines et des vallées larges et profondes.
Le vieil homme sort chercher du bois sous l’épaisse neige afin de garder au chaud sa cabane. Il revient bredouille et désespéré. Assis près des braises mourantes, il implore le Dieu du Ciel de ne pas le laisser périr. Soudainement, le vent lui répond par un hurlement et d’un coup souffle la porte de sa cabane.
Une des plus jolies jeunes filles entre. Ses joues sont couleur de fleur d’églantier. Ses grands yeux brillent comme ceux d’un faon au clair de lune. Ses longs cheveux noirs comme plumes de corbeau balayent avec délicatesse le sol sous ses pas. Ses mains sont couvertes de chatons de saule. Une guirlande de fleurs sauvages sur la tête, elle est vêtue de foin d’odeur et de fougères et aux pieds, des lys blancs comme mocassins. Elle avance et lorsqu’elle respire, la cabane se remplit d’un air chaud et parfumé.
– Je suis content de vous voir, ma fille. Ma cabane est froide et triste, cependant elle vous protègera de la tempête. Dites-moi qui vous êtes, vous qui venez ainsi chez moi dans ce costume étrange. Venez, reposez-vous ici et parlez-moi de votre pays et de vos succès et je vous parlerai de mes exploits, car je suis Manitou, dit le vieil homme.
Il bourre alors deux pipes qu’ils pourront fumer tout en jasant. Sa langue se réchauffe grâce à la fumée du tabac et il ajoute :
– Je suis Manitou. Je souffle et les lacs deviennent comme du silex, les fleuves s’immobilisent et mon souffle fait des ponts sur les rivières.
– Je respire, de répondre la jeune fille, et les fleurs naissent dans les plaines.
– Je respire, de poursuivre le vieil homme, et la neige couvre la terre.
– Je secoue mes tresses, reprend la jeune fille, et une pluie chaude tombe des nuages.
– Quand je marche, les feuilles se fanent et tombent des arbres. À mon commandement les animaux se cachent sous terre et les oiseaux quittent l’eau et s’envolent au loin, car je suis Manitou.
– Quand je marche, les plantes relèvent la tête, les arbres nus se couvrent de feuilles vertes sans nombre. Les oiseaux reviennent et tous ceux qui me voient chantent de joie. La musique est partout, renchérit la jeune fille en souriant.
À mesure qu’ils parlent, la cabane se réchauffe et l’air devient plus parfumé. La tête du vieil homme tombe sur sa poitrine et il s’endort.
Le soleil alors revient et les oiseaux bleus volent au-dessus de la cabane et chantent : « J’ai soif ! J’ai soif ! ». Et la rivière répond : « Je suis maintenant libérée ; venez et buvez ».
Et voici que pendant que le vieil homme dort, la jeune fille passe sa main au-dessus de sa tête ; il devient alors de plus en plus petit, une goutte de rosée sort de sa bouche et rapidement il se change en un tout petit bouquet au raz du sol. Ses vêtements deviennent des feuilles défraîchies. La jeune fille alors, à genoux, prend quelques-unes des précieuses fleurs roses et blanches, les cache sous les feuilles fanées, et en soufflant sur elles leur dit :
– Je vous donne toutes mes vertus et mon souffle le plus doux et ceux qui voudront vous cueillir devront le faire avec respect, en s’agenouillant.
Puis elle quitta bois et plaines au chant des oiseaux et sous chacun de ses pas, et nulle part ailleurs, pousse encore aujourd’hui la fleur de notre tribu, l’arbutus rampant, la fleur de mai.