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La croix – Léon Degrelle

La croix – Léon Degrelle

A quand notre tour ?

La mort passe insensible et ses mains étranglent les cœurs au hasard. La mitraille vient, elle glisse, elle s’écaille, ou elle pousse à travers un jeune corps ses longs doigts rouges.

Que faire, sinon avoir le cœur pur, l’œil calmé par le sacrifice fait à temps, et librement ?

Si elle vient, nos cils ne trembleront pas et nous partirons avec le léger et triste sourire des tendres souvenirs qui ourlent les dernières secondes.

Si nous revenons, alors même que la tiédeur de la vie nous aura fait oublier ce souffle glacé, nos cœurs auront pour toujours l’équilibre de la vie qui n’a point tremblé devant la mort.

Que le destin nous trouve toujours forts et dignes !

Il faut quand même aimer le bonheur, comme on aime le chant du vent, si fugitif soit-il, comme on aime les couleurs du soir, alors même qu’on sait qu’elles vont mourir.

Car les grands vents renaissent et chantent à nouveau et, chaque jour, les couleurs remontent au mât flamboyant du soleil ressuscité.

A nous de ne laisser ni les vents s’éteindre ni le soleil s’étioler sans en capter les forces.

La joie est le feu des cœurs indomptables dont nul revers n’éteint ou n’étouffe les couleurs brûlantes.

Quand tu vois la mer descendre sur les sables, retourner vers les sombres profondeurs du large, pense au grand jaillissement qui reviendra quelques heures plus tard, blanc, scintillant au soleil, audacieux et fort, comme si ces vagues étaient les premières qui venaient à l’assaut du monde !

Être heureux, c’est se projeter.
Le bonheur, c’est cela : donner son plein.

Il y a sur la terre tant de choses médiocres, basses ou laides, qu’on finirait par être un jour submergé par elles si on ne portait pas en soi le feu qui brûle le laid, le consume et nous purifie.

L’art est notre salut intérieur, notre jardin secret qui sans cesse nous rafraîchit et nous embaume.

Poésie, peinture, sculpture, musique, n’importe quoi, mais s’évader du banal, s’élever au-dessus de la poussière desséchante, créer le grand, au lieu de subir le petit, faire jaillir cette étincelle d’extraordinaire que chacun de nous possède, et la convertir en un grandiose incendie, dévorant, inextinguible.

Les siècles morts et noirs sont ceux où des âmes hésitèrent devant cet effort. Les siècles lumineux sont ceux qui ont vu ces grands feux d’âmes jalonner, dominer, les montagnes spirituelles.

Les seules vraies joies ne sont pas celles que les autres nous donnent, mais celles que nous portons en nous, que crée notre foi, que nourrit notre dynamique.

Le reste vient, part comme l’écume de la mer, brillante à la pointe des vagues, frémissant encore un instant sur le bord des sables, puis mourant vite, ou se retirant avec les flots.

Tel est le bonheur que nous apportent de temps en temps les autres.

La joie qui naît de notre passion de vivre et de notre volonté est pareille à la grande force qui gronde et qui roule au fond des mers, qui jaillit à la rencontre du soleil et se renouvelle à chaque seconde.

Il faut, accroché à un bateau, regarder la mer puissante jeter ses vagues comme d’immenses peaux de léopard, s’étaler, souple et luisante, se dresser comme un feu d’argent ou comme une prodigieuse gerbe de fleurs blanches ! Sans cesse cette vie revient, rebondit ; on sait que rien, jusqu’à la fin du monde, n’arrêtera cet élan !

Ainsi doivent être nos cœurs, impétueux, mais semblables à cette merveilleuse force rythmée, ordonnée, scandée comme un chant éternel.

Le jour, nous sommes happés par de pauvres préoccupations, souvent banales.

Mais la nuit, l’imagination tisse ses rêves, nous emporte dans ses fantaisies, ses reconstitutions ou ses anticipations.

Parfois je suis stupéfait par la lucidité implacable des rêves.

Certes le rêve est souvent une fusée folle, une fantasmagorie. Mais il est souvent aussi pour moi une rencontre avec ma conscience et avec mes premières intuitions.

Je m’y vois au naturel, tel que je suis quand ma volonté n’est pas là pour bloquer ses quatre freins sur mes passions.

Je sais alors exactement quels sont mes points douteux.

Je dois chaque fois me dire : tiens, tu faiblissais.

J’ai ainsi la preuve quasi quotidienne que je ne puis résister à mille appels, conduire ma vie avec honneur que dans la mesure où un nouvel effort mâte et bride, chaque jour, au fond de moi-même, une cavale que les habitudes ne changent point et que seul le fouet de la volonté, manié sans cesse, peut contenir.

Que celle-ci se relâche, tout se débanderait.

Le rêve me le montre.

La volonté s’endort ? Je me réveille vaincu, le rêve m’avait conduit à la dérive.

Il n’est pas pour moi d’examen de conscience plus décisif que le déroulement des rêves. Ils me montrent mon âme à nu, j’en sors très peu édifié sur moi-même, sachant surtout qu’il faut être en garde à chaque instant car le fond de nous-mêmes ne capitule pas, ne va pas naturellement à la vertu mais, au contraire, se détache d’elle dès que les mirages ouvrent leurs champs d’or.
L’âme, libérée par le don qu’elle a fait d’elle-même, vole, s’élance et chante.

Parce que nous entendons en nous ces grands chants de la sérénité, nous savons que l’oeuvre à créer sera belle. Car il ne se créer du grand et du beau que dans la joie et dans la foi.

Si nous n’aimons la vertu que dans la mesure où on la remarque, nous la souillons d’orgueil. Nous ne sommes plus vertueux dès l’instant où nous désirons que la vertu, que nous croyons avoir atteinte, soit vue et admirée.

Il en est ainsi de toutes les vertus. Elles sont belles, douces, rayonnantes, si nous les aimons pour elles-mêmes, si nous les cultivons pour le plaisir unique de les avoir atteintes.

Nous allons à la vie sans même penser qu’on pourrait ne pas nous comprendre.

Les cœurs sans complications n’imaginent pas les complications des autres. Les cœurs frais n’imaginent pas que d’autres cœurs soient haineux ou souillés.

La souffrance est la plus merveilleuse des compagnes, pathétique et angélique, lavant les âmes de tout désir, les hissant vers les sommets dont elles avaient si longtemps rêvé.

Les défaites, les victoires, les rêves ou les succès matériels passent, s’oublient, feux qui brillent un instant, fumées qui se diluent dès que le vent souffle.

Mais l’essentiel, l’unique, est, pour nous, le grand embrasement spirituel sans lequel le monde n’est rien.

Un petit peu de feu dans quelque coin du monde, et tous les miracles de grandeur restent possibles.

Tout, dans la vie, est une question de foi et de ténacité. La confiance, cela ne se mendie pas, cela se conquiert. Et le meilleur moyen de conquérir, c’est d’abord de se donner.

Nous portons tous notre croix : il faut la porter avec un sourire fier, pour qu’on sache que nous sommes plus forts que la souffrance et aussi pour que ceux qui nous blessent comprennent que leurs flèches nous atteignent en vain.

Qu’importe de souffrir, si on a eu dans sa vie quelques heures immortelles.

Au moins, on a vécu !

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