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J’ai perdu mon corps – Jérémy Clapin

J’ai perdu mon corps – Jérémy Clapin

A Paris, Naoufel tombe amoureux de Gabrielle. Un peu plus loin dans la ville , une main coupée s’échappe d’un labo, bien décidée à retrouver son corps. S’engage alors une cavale vertigineuse à travers la ville, semée d’embûches, et des souvenirs de sa vie jusqu’au terrible accident. Naoufel, la main, Gabrielle, tous trois retrouveront, d’une façon poétique et inattendue, le fil de leur histoire…

J’ai perdu mon corps, premier long métrage d’animation de Jérémy Clapin, semble assez simple à résumer : échappée d’un laboratoire où elle attendait d’être disséquée, une main humaine cherche son corps. L’héroïne de ce film est pour le moins surprenante. Pourtant, elle parvient à susciter une profonde et sincère empathie chez les spectateurs, tentant de traverser les rues encombrées de voitures, obligée de se battre contre des rats voraces dans les égouts de la ville. Le récit est cependant plus complexe, car il joue sur deux temporalités qui se font écho : l’avant et l’après main coupée. Mais passé et présent sont toujours teintés d’une superbe sensualité.

Avant, il y avait Naoufel, jeune homme à lunettes issu d’une famille maghrébine, passionné par la musique et les sons, assoiffé de liberté et d’indépendance. Après la mort de ses parents, Naoufel fait fortuitement la connaissance d’une jeune femme au travers d’un interphone. Une rencontre des plus surprenantes où, alors que nous sommes au cinéma, le regard ne joue aucun rôle, puisque tout se passe grâce la voix. A l’ouïe. Un jeu de séduction qui, par son anticonformisme, fait naître une jolie émotion.

La jeune femme en question s’appelle Gabrielle, qui compense son introversion en usant d’un sens de la répartie et d’un franc-parler à toute épreuve. Bibliothécaire, elle aime à contempler, de ses yeux profonds, les paysages déserts de l’Antarctique, rêvant, comme Naoufel, d’indépendance et de liberté. Ou quand l’oreille et l’œil apprennent à s’aimer.

Par l’introduction de la pizza, au début et à la fin de l’intrigue, c’est l’odorat et le goût qui se trouvent manifestés à l’écran, d’une manière moins importante, mais tout aussi remarquable que la vue et l’ouïe.

C’est surtout le sens du toucher qui occupe une place de choix, par la mise en scène de cette main en mouvement. La main, c’est le toucher, le contact de la paume et des doigts de Naoufel sur le bois qu’il travaille. La main, c’est aussi le prolongement du bras, et donc, c’est le mouvement, comme les images du cinématographe.

C’est un double hommage que Jérémy Clapin rend au septième art : non seulement la main coupée célèbre l’image-mouvement, le mouvement filmé, mais elle célèbre aussi l’animation comme art cinématographique par excellence. En effet, contrairement à la prise de vue réelle, le cinéma d’animation ne se contente pas de saisir et restituer le mouvement. Il fabrique un mouvement et une temporalité uniques, propres au récit et au film.

Par ailleurs, le réalisateur pose un regard sombre mais optimiste sur une société déchirée, culturellement divisée et qu’il faut raccommoder, à l’image de la main orpheline partie à la recherche de son corps. Singulier, sensible et émotionnellement puissant, J’ai perdu mon corps est l’un des meilleurs films d’animation de 2019.

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