Ma vie de courgette – Claude Barras
Courgette n’a rien d’un légume, c’est un vaillant petit garçon. Il croit qu’il est seul au monde quand il perd sa mère. Mais c’est sans compter sur les rencontres qu’il va faire dans sa nouvelle vie au foyer pour enfants. Simon, Ahmed, Jujube, Alice et Béatrice : ils ont tous leurs histoires et elles sont aussi dures qu’ils sont tendres. Et puis il y a cette fille, Camille. Quand on a 10 ans, avoir une bande de copains, tomber amoureux, il y en a des choses à découvrir et à apprendre. Et pourquoi pas même, être heureux.
Si Ma vie de courgette suscite tant l’émotion – certainement plus chez l’adulte que chez l’enfant, qui ne prend pas forcément ici la mesure de la douleur en acte -, c’est parce qu’il sait mieux que quiconque retranscrire le sentiment de l’enfance. Avec force de détails a priori anodins mais d’une extrême justesse, le scénario de Céline Sciamma et l’univers stop-motion mi coloré, mi-blafard de Claude Barras vont droit au cœur. Il y a d’abord cette rhétorique saisissante notamment utilisée par Pixar, où la musique et la sincérité de la mise en scène achèvent de provoquer une nostalgie profonde – formule magique notamment invoquée en amorce par Wall-E ou Là-haut.
Cependant, là n’est pas l’unique secret du dispositif de Ma vie de courgette, où la spontanéité supplante d’ailleurs le calcul. Car non content d’accomplir la prouesse d’aborder un sujet difficile (à la frontière de la protection juridique de la jeunesse) sans l’édulcorer, le tout en se plaçant à hauteur d’enfant, c’est en matière de tonalité que Claude Barras excelle. Sans jamais filmer autre chose que la réalité – pas de monde imaginaire pour fuir le réel ici -, le cinéaste réussit systématiquement à trouver la frontière entre enfer et paradis. En cela, faut-il peut-être rapprocher son travail de celui des grands génies japonais de l’animation, Miyazaki père en tête, premiers à avoir compris avec Paul Grimault (Le Roi et l’Oiseau) qu’il était inutile de reléguer la réalité au rang de simple cauchemar.
Avec son cerf-volant et sa canette de bière vide – seuls témoins de l’existence de ses parents -, Courgette, de son véritable prénom Icare, préfère aux promesses vaines de l’envol une forme de romantisme que l’on trouverait jusque dans la tristesse. Qu’importe sa condition d’orphelin, le jeune garçon, conscient plus que quiconque du caractère malléable de la psyché, ne s’appesantit pas sur son sort. Placé dans un foyer pour enfants par un policier esseulé, Courgette voit dans le malheur enduré mais assimilé par ses camarades l’image réfractée de sa propre vie. Quoi de plus optimiste que cette joie par-delà la torpeur pour faire passer aux plus jeunes – mais pas que – l’idée d’une existence vécue avec philosophie ?
À travers ces couleurs délavées et ces horizons absents – le cadrage se contente du présent -, peut-on voir l’empreinte de Henry Selick (James et la pêche géante et Coraline, surtout) ou même de Tim Burton (Les Noces Funèbres). Pas seulement pour l’esthétique stop-motion, mais avant tout pour cette adjonction si brillante entre le drame et la fantaisie, qui porte en elle les prémisses du cinéma muet de Méliès. Déjà avec le court-métrage Le Génie de la boîte de raviolis (2006), Claude Barras avait manifesté une habilité à peindre un drame social avec poésie. Premier passage du cinéaste au long métrage, Ma vie de courgette est une œuvre d’ores et déjà incontournable et indispensable.