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Le roi et l’oiseau – Paul Grimault

Le roi et l’oiseau – Paul Grimault

A l’origine, Le roi et l’oiseau ne s’appelait pas ainsi et lorsque Paul Grimault et le poète Jacques Prévert pensent produire, écrire et réaliser un film d’animation en 1945, ils portent leur choix sur le conte d’Andersen, La bergère et le ramoneur. L’histoire classique d’un amour plus fort contre les conventions sociales et politiques où deux figurines de porcelaines s’aiment malgré le complot du grand-père de celle à l’effigie de la bergère, un vieux chinois, qui veut la marier de force au Grand-Général-en-chef-Jambe-de-Bouc.

Alors que le cinéma d’animation avait connu ses vrais débuts flamboyants avec Blanche-Neige et les Sept Nains quelques années plus tôt en 1937, le duo caresse ainsi l’idée de lui rendre la pareille en réalisant le premier film d’animation du cinéma français. Un projet titanesque pour une époque où tout reste à inventer, d’autant plus que notre industrie n’a ni la technique ni les moyens financiers de supporter une telle idée au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Qu’importe, Prévert et Grimault relèvent le défi au sein de la société de production Les Gémeaux, basée à Neuilly-Sur-Seine, véritable usine à idées où les animateurs sont obligés de se former aux dernières techniques d’animation en même temps qu’ils réalisent le film avec pour seule contrainte un délai de production que ne doit pas dépasser trois ans.

Les choses tournent cependant au vinaigre lorsque la société connait des difficultés financières en 1949 et se voit obligée de licencier une partie de son personnel. En effet, emportés par leur enthousiasme débordant, Grimault et Prévert ont largement sous-estimé les moyens nécessaires pour réaliser leur rêve et se voient dans l’obligation de délocaliser une partie de la production à Londres tout en resserrant au maximum le budget du film, ce qui signifie en d’autres termes de couper les séquences les plus ambitieuses et donc les plus chères à produire. Un tollé pour La Bergère et le Ramoneur qui ne s’en remettra quasiment pas, bien que la production continue vaille que vaille. Le coup fatal arrive en 1950 lorsque Paul Grimault se fait licencié de son propre film par l’autre patron du studio, André Sarrut. Une guerre intestine éclate au sein des Gémeaux et l’équipe du film se scinde en deux camps, ce qui ralentit considérablement la production.

Mais avec tout cet argent, ce temps et ces talents investis, il faut quand même sortir le film pour éviter la catastrophe intégrale. Après sa présentation amputée des fameuses séquences à la Biennale de Venise 1952, (où il reçoit le Grand Prix dans une version qui n’est pas l’oeuvre de Grimault et de Prévert) le film fait un flop commercial qui amène les Gémeaux à la faillite. Grimault, lui, attend son heure, retranché à la Cinémathèque qui lui permet d’ouvrir son propre studio, Les Films Paul Grimault.

Il n’en a pas fini avec La Bergère et le Ramoneur dont l’histoire ne fait d’ailleurs que commencer.

Après avoir récupéré les droits du film en 1967, Paul Grimault se retrouve face à un challenge encore plus périlleux que le précédent : sa copie de travail est dans un sale état, le négatif accuse certains manques importants et il n’a pas le budget nécessaire pour relancer la production. Alors qu’il se diversifie à l’international pour trouver des capitaux, la solution viendra finalement du CNC, des Films du Capitole et d’Antenne 2 qui débloque des fonds pour que le film reprenne. Retrouvant un Jacques Prévert au bord de la mort en 1976, le duo recommence le film presque intégralement, ne conservant de l’ancienne version que ce qui est montrable et devant créer de toutes pièces le reste pour transformer le projet en long-métrage.

Mais il reste un autre problème à régler : les ravages du temps. En effet, entre le moment de sa mise en chantier en 1949 et la nouvelle version des années 70, Grimault ne peut plus se reposer sur le casting vocal original pour combler les trous des dialogues des nouvelles séquences. Il doit donc tout recommencer. Pour ne rien arranger, Jacques Prévert décède en avril 1977 et c’est donc un Paul Grimault affaibli par la perte de son allié qui se lance dans la bataille de sa vie.

Le film sort finalement sur tous les écrans de France en 1980 et est un succès puisqu’il rassemble pas loin de 2 millions de spectateurs sur notre territoire, alors même que sa carrière internationale concourra grandement à sa renommée. Hayao Miyazaki et Isao Takahata, deux des têtes pensantes du Studio Ghibli, ont été profondément marqués par le film, qu’ils avaient déjà pu découvrir dans sa première version dans les années 50. Si Takahata n’a jamais caché que c’était ce film qui lui avait donné envie de faire de l’animation, Miyazaki n’est pas en reste puisqu’il s’est perdu en louanges depuis son premier visionnage, étant l’un des grands supporters de l’ombre de Grimault. Il lui rendra hommage à de multiples moments au cours de son oeuvre. L’inspiration la plus célèbre étant évidemment le gigantesque robot du Château dans le Ciel, décalcomanie de celui du Roi et l’Oiseau autant visuellement que philosophiquement. Mais le Japon n’est pas le seul impacté par ce phénomène car, aux Etats-Unis, un jeune réalisateur en devenir craque complètement sur le film. Il s’agit bien entendu de Brad Bird qui saura s’en souvenir au moment de la réalisation de son exceptionnel Géant de Fer.

On le voit, si Le roi et l’oiseau s’est enfanté dans la douleur et qu’il n’est pas, au sens propre, le premier film d’animation français (sa première version l’est, mais les différences étant énormes, on peut réellement parler de deux œuvres distinctes), il a marqué de son empreinte le cinéma mondial. Grotesque et poétique, autant drôle que dramatique, c’est un objet filmique unique, habité par ses deux auteurs dont la forme finale tient encore aujourd’hui du pur miracle, tant les embûches ont été nombreuses. Si Paul Grimault n’a jamais plus fait d’oeuvre de ce calibre, il aura inscrit son nom au panthéon du 7ème Art, qui le lui rend bien de façon rétroactive, son chef-d’oeuvre étant considéré aujourd’hui comme un classique intemporel de notre cinéma.

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