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La mort de la mère d’Henry ne constitua pas une tragédie – Charles Bukowski

La mort de la mère d’Henry ne constitua pas une tragédie – Charles Bukowski

la mort de la mère d’Henry ne constitua pas une tragédie. les catholiques savent s’y prendre. le prêtre agita des bâtonnets qui brûlent en répandant de la fumée, et tout fut dit. sans qu’on ouvrît le cercueil. sitôt la cérémonie terminée, Henry galopa jusqu’au champ de courses, où il ne fut pas malheureux. ramenant même chez lui une fille blonde comme les blés. laquelle, avant de lui faire l’amour, lui fit cuire son steak. mais quand le père d’Henry claqua, ce fut autrement plus sinistre. d’abord, et parce qu’ils n’avaient pas refermé le cercueil, il fut obligé d’y jeter un dernier coup d’œil. de surcroît, une certaine Shirley, jamais vue auparavant, et qui se présenta comme la compagne du vieux, se pencha, en criaillant et en pleurant, sur le défunt, puis elle lui souleva la tête et la couvrit de baisers, pour l’empêcher de continuer, ils durent s’y mettre à plusieurs. mais ce ne fut pas tout : alors qu’Henry se trissait, cette Shirley le rattrapa au beau milieu des marches, se pendit à ses basques et voulut à toute force l’embrasser. « comme tu ressembles à ton père ! » piaillait-elle. de la sentir contre lui le remua si fort que son entrejambe hissa les couleurs. il pria le ciel pour que personne ne s’en rende compte et finit par la repousser. elle n’était guère plus âgée que lui. n’empêche qu’ensuite il fonça au champ de courses, sauf qu’il n’y trouva aucune fille blonde comme les blés, et qu’il y perdit pas mal de fric. ce jour-là, dans ses veines coulait le sang de son père.

le notaire l’informa qu’il n’y avait pas de testament. pas de liquidités, non plus. qu’une voiture et une maison. comme Henry pointait au chômage, il décida illico de s’installer chez son père. il passait son temps à boire. en compagnie de sa vieille copine, Maggy. se levant sur le coup de midi, il commençait par arroser cette maudite pelouse, puis les fleurs. son vieux en avait la passion. et pendant qu’il les arrosait, tout en cuvant sa gueule de bois, il se rappelait la haine que celui-ci lui portait, à cause de son peu d’entrain pour le turbin. de fait, la boisson et la baise avaient toujours eu la préférence d’Henry. et à présent, c’était lui qui jouissait de cette foutue maison et de la voiture, et non le vieux qui mangeait les pissenlits par la racine. Henry fit également la connaissance de ses voisins, en particulier de celui de droite. un gérant de blanchisserie. Harry, qu’il s’appelait. et cet Harry hébergeait dans sa cour toute une flopée d’oiseaux. il y en avait facile pour 5 000 dollars. de toutes les sortes et de toutes les origines. avec des couleurs bizarroïdes et des formes qui ne l’étaient pas moins. certains parlaient et, parmi ceux-là, il s’en trouvait un qui, du matin au soir, ne cessait de répéter « va te faire foutre, va te faire foutre ». Henry avait beau lui vider dessus un arrosoir, il continuait de plus belle. à une variante près – « t’aurais pas une allumette ? » – qu’il lui arrivait parfois de proférer, mais c’était pour, aussitôt après, lâcher une rafale de « va te faire foutre ». la cour n’était qu’un amoncellement de cages. Harry ne vivait que pour ses oiseaux. Henry, lui, ne vivait que pour le tord-boyaux et l’attrape-quéquette. si bien qu’il envisagea même de se taper un de ces piafs. mais encore aurait-il fallu qu’il sache par quel trou y parvenir !

quoique Maggy ne manquât pas de talent au pieu, ses origines irlando-iroquoises la rendaient invivable dès qu’elle avait bu. aussi Henry devait-il de temps en temps la dérouiller. lorsqu’il obtint le numéro de Shirley, il l’invita à lui rendre visite. à peine eut-elle poussé la porte qu’elle se mit à le bécoter tout en lui redisant qu’il était le portrait craché de son père. il ne protesta pas mais lui rendit ses baisers. ce jour-là, il ne se l’envoya pas, préférant laisser le temps faire son œuvre il ne fallait surtout pas l’effrayer.

presque chaque soir, Harry et sa femme passaient prendre un verre. la conversation d’Harry se limitait à la blanchisserie et aux oiseaux qui détestaient, selon lui, sa femme. laquelle ne manquait pas de croiser ses jambes au-delà du raisonnable pendant qu’elle exposait à quel point elle-même les haïssait. d’où en retour un certain remue-ménage sous le calebar d’Henry. salopes de bonnes femmes qui ne savaient qu’exciter le mâle ! de son côté, Shirley prit l’habitude de venir frapper à sa porte, et plus d’une fois il l’emmena faire la tournée des bars. mais Maggy ne supportait pas ces visites de Shirley, alors même qu’Henry, qui gardait un œil sur la femme d’Harry, ne parvenait pas à décider laquelle était la plus excitante. jusqu’à cette nuit où tout se déclencha. complètement schlass, madame la blanchisseuse ouvrit chacune des cages – pour 5 000 dollars de plumages envolés – sans que son époux, trop soûl lui aussi pour bouger le petit doigt, ne réagisse. du moins, dans un premier temps, car ensuite il se mit à gueuler et à lui taper dessus. chaque fois qu’elle allait au tapis, Henry en profitait pour mater sous sa robe. et plus il voyait sa petite culotte, et plus il bandait. pendant ce temps, Maggy s’agitait en tous sens dans l’espoir de refourrer, sans grand succès d’ailleurs, les oiseaux dans leurs cages. il y en avait partout, jusque dans la rue, les uns sur les arbres et les autres perchés sur les toits. 5 000 dollars de volatiles endiablés, de toutes couleurs et de toutes tailles, qui savouraient l’ivresse de la liberté retrouvée. n’en pouvant plus, Henry harponna Shirley et l’entraîna dans sa chambre. où, après l’avoir déloquée, il la mit en perce. encore que, pour avoir trop forcé sur la bouteille, il bandait mou. moyennant quoi, il modela son rythme sur les coups que donnait Harry à sa femme ; chaque fois qu’il faisait mouche, lui, Henry, il poussait. sur ces entrefaites, Maggy rappliqua avec un oiseau. qui portait une touffe orange sur la tête et une sur la gorge, plus deux autres sur le haut de ses pattes. sinon il était gris et sans intérêt. bien qu’il eût cependant coûté 300 dollars à Harry. « j’en ai un », s’égosillait Maggy qui, n’apercevant pas Henry, partit à sa recherche mais, quand elle les découvrit dans la chambre, elle se laissa tomber sur une chaise, avec son oiseau sur les genoux, et commença de geindre sans pour autant détourner la tête. tandis que, dans le salon, Harry continuait de s’acharner sur sa femme qui n’était plus que hurlements. telle fut la scène qui s’offrit à la vue des flics lorsqu’ils s’amenèrent. c’étaient deux jeunots, qui séparèrent d’abord Harry de son épouse, puis qui forcèrent Henry et Shirley à se rhabiller, et commandèrent à toute la compagnie de grimper dans leur bagnole, direction le poste. une autre patrouille – encore des jeunes – vint leur prêter main-forte. c’est alors que Maggy se déchaîna et frappa l’un des nouveaux arrivants. aussi la firent-ils monter dans leur voiture, et roulèrent-ils jusqu’aux collines, où ils la baisèrent chacun à son tour sur le siège arrière. évidemment, ils lui avaient passé les menottes. dans le même temps, la première voiture de police se rangeait devant le commissariat. après s’être entendu notifier leur motif d’inculpation, Henry, Shirley, Harry et sa femme se retrouvèrent en cellule. dans la rue, là-bas, les oiseaux s’en donnaient à cœur joie.

le dimanche suivant, dans son sermon, le pasteur évoqua ces « alcooliques fornicateurs dont les péchés rejaillissent sur l’ensemble de la communauté ». pour être la seule à ne pas croupir en prison, et parce qu’elle avait de la religion, Maggy se tenait au premier rang des fidèles, les jambes généreusement offertes. de derrière la chaire, le pasteur pouvait voir jusqu’au haut de ses cuisses, et même son slip. quelque chose se mit à remuer sous son pantalon. par bonheur, le bas de la chaire dissimulait aux yeux de tous cette part de lui-même. mais il dut tourner le regard, se concentrer sur un vitrail et parler d’abondance, tant que son machin ne fut pas revenu à de meilleurs sentiments.

Harry perdit sa place à la blanchisserie. Henry vendit sa maison. le pasteur coucha avec Maggy. Shirley se maria avec un réparateur de télés. prostré dans sa cour, Harry contemplait toute la sainte journée les cages vides. ne trouvant pas à se nourrir, les oiseaux périrent au hasard des rues. chaque fois qu’Harry en découvrait un, raide mort, il battait sa femme. en six mois, Henry dépensa l’argent de la vente en jouant et en buvant.

je m’appelle Henry. Charles est mon second prénom. quand ma mère mourut, ça se passa relativement bien. de belles funérailles catholiques, avec plein d’encens et un cercueil fermé. lorsque ce fut le tour de mon père, il n’en alla pas de même. on laissa ouvert le cercueil, et son ex se pencha sur son cadavre… embrassa son visage, et tout le reste suivit.

P.S. : à condition de pouvoir l’attraper, on peut baiser un oiseau.

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