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Dom Juan ou Le festin de Pierre – Marcel Bluwal

Dom Juan ou Le festin de Pierre – Marcel Bluwal

Avec Michel Piccoli et Claude Brasseur, cette admirable mise en scène de Dom Juan en tous points réussie est à découvrir par le plus large public possible. Un drame intemporel et universel d’une grandeur et d’une beauté bouleversantes.

Née sous la plume de Tirso de Molina au début du XVIIème siècle, la fable de Dom Juan est devenue un mythe européen nourri de réécritures et d’une pléthorique bibliographie critique. Célèbre entre toutes, la pièce de Molière est l’un de ses chefs-d’œuvre profondément audacieux, qui fustige les tartuffes, la rage dévote et l’hypocrisie autant qu’elle questionne le rapport de l’homme aux normes sociales, au Ciel et à la liberté. Créée en 1665, absente de la scène jusqu’au milieu du XIXème siècle, l’œuvre réputée injouable fut redécouverte à notre époque grâce à Louis Jouvet puis Jean Vilar, et régulièrement montée depuis. Comment appréhender l’incarnation de ce « grand seigneur méchant homme », de cet « épouseur à toutes mains », de cet « esprit fort » clamant son désir d’une liberté sans limites et sans Dieu ? Hors de toute vision convenue et de tout ancrage temporel, hors de toute histoire de séduction triviale et de toute simplification morale, la mise en scène de Marcel Bluwal est un drame d’une exceptionnelle beauté qui atteint la grandeur et l’universel, une course inéluctable et presque solennelle jusqu’à la mort, jusqu’au précipice et au néant originel. Aucune emphase dans cette mise en scène, aucun effet superflu, rien d’empesé, mais une science inouïe des cadrages et des plans soulignant l’intensité et l’authenticité des situations et des conflits.

Michel Piccoli dans le rôle de Dom Juan, qui n’est pas ici sans rappeler une figure romantique, est absolument prodigieux, de même que Claude Brasseur en Sganarelle. Formidable duo, où les accents cocasses cèdent la place à une forme de comédie cruelle et touchante. L’éblouissante interprétation de Michel Piccoli conjugue deux aspects contradictoires : le désir farouche de jouir d’une liberté sans scrupules et sans contraintes et une sorte d’absence au monde, comme s’il savait intimement que la fin était toute proche, et qu’aucune vaine gesticulation ne pourrait l’entraver. Le temps s’égrène au rythme d’une chevauchée implacable qui prend fin avec le sublime rendez-vous sacrificiel face à la statue du Commandeur. Le choix de décors naturels contribue à la réussite de la mise en scène : une plage infinie pour la rencontre avec les paysannes, les Grandes Ecuries du Château de Chantilly, un salon du Trianon à Versailles, et les majestueuses Salines d’Arc-et-Senans conçues par Nicolas Ledoux, où trône l’imposante statue.

Une mise en scène hors normes et splendide qui prouve ce que chacun sait : l’écran peut être aussi un merveilleux outil de connaissance.

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