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La jeune fille sans mains – Sébastien Laudenbach

La jeune fille sans mains – Sébastien Laudenbach

En des temps difficiles, un meunier vend sa fille au Diable. Protégée par sa pureté, elle lui échappe mais est privée de ses mains. Cheminant loin de sa famille, elle rencontre la déesse de l’eau, un doux jardinier et le prince en son château. Un long périple vers la lumière.

Le réalisateur de La jeune fille sans mains n’ayant pu trouver le financement nécessaire, profite d’une résidence d’artistes pour se lancer seul dans la fabrication de La jeune fille sans mains, adaptation moderne d’un conte méconnu de Grimm. Utilisant tous les ingrédients nécessaires à ce type de récit (la force, la cruauté, un temps lointain imaginaire, une fin heureuse), le résultat est exaltant. Il signe un film lumineux et poétique bien éloigné des dessins animés remplis de personnages aux formes définies et aux couleurs pétantes auxquels nos regards de spectateurs sont la plupart du temps soumis.

Le déroulement de l’histoire trouve son juste équilibre entre cruauté crasse et grandeur d’âme. Le diable évolue dans des tableaux sombres et tourmentés dignes des peintres du 18ème siècle alors que la jeune fille, à qui Anaïs Demoutiers prête la douce musique de sa voix, rend hommage à la nature aux couleurs chaudes et ensoleillées. Bénéficiant d’une totale liberté, le récit s’attache avant tout à nous décrire la trajectoire d’une jeune femme qui tourne le dos à la mainmise des hommes pour assumer son destin. Il en profite pour aborder des thèmes universels allant de la liberté de la femme à la violence des rapports humains en passant par l’amour et la beauté des choses de la vie. Sans aucune gêne, on se baigne nus dans la rivière, on défèque en toute tranquillité dans la nature, on laisse le lait s’échapper d’un sein, on ne tait pas les gémissements de plaisir. Sans compassion, on se prend en pleine face les scènes de dévastation, on est plongés dans le sang et la douleur.

A l’aide de quelques coups de crayons à peine esquissés, le réalisateur nous restitue avec la même vivacité violence et douceur. Car si le rythme lent freine quelque peu le propos, c’est bien la magie picturale, évocatrice de la calligraphie asiatique qui retient toute l’attention. Jetés sur le papier, quelques traits furtifs se précisent pour délicatement se transformer en personnages, animateurs colorés du récit. Les couleurs éclatent et remplissent les formes nous plongeant dans un univers métaphorique merveilleux. Des points verts disséminés dessinent les feuilles dans les arbres, un trait bleu sera une rivière fougueuse. Des détails d’animation inédits nous précipitent dans une expérience merveilleuse et inoubliable de pureté.

A l’instar de cette jeune fille qui, privée de ses mains, se voit dans l’obligation de s’inventer sans cesse une autre vie, ce long-métrage d’animation, aux images en éternelle mutation et à l’abstraction totale, devrait ravir tous ceux qui, lassés des histoires préétablies, auront cette fois le plaisir de laisser toute latitude à leur soif d’imagination.

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