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Vivants, ils vont les mains devant- Jean-Michel Maulpoix

Vivants, ils vont les mains devant- Jean-Michel Maulpoix

Ils essaient de palper la forme de leur vie. Ils racontent tout haut leurs soucis, expliquent leur misère, découpent des images, inventent des histoires, chantent à tue-tête et se trémoussent sur des musiques. Ils fouillent parfois dans leur mémoire pour y chercher un mot qui se puisse murmurer à l’oreille d’une femme dans la nuit, ou pour soi seul, juste un nom de peu de syllabes, clair et nu dans la bouche, un mot d’amour qui sonnerait juste, qui permettrait de se quitter, de se rejoindre… En vérité, ils ne savent pas, mais disent qu’on les attend là-bas, de l’autre côté de l’horizon, avec des paniers de fruits rouges et des bouquets de fleurs. Ce soir, ils dormiront au large, rassasiés d’écume et de bleu. Ils s’éveilleront demain dans un corps neuf. Ils auront tout le temps qu’il faut, tout le loisir d’apprendre des gestes inconnus, et des passions violentes à ne savoir qu’en faire. Cette espérance les tient en vie. Ils s’y réchauffent et s’y endorment. Ils soufflent sur sa braise quand l’hiver leur glace les épaules. Ils s’efforcent d’y croire… Mais le tic-tac de leur cœur ralentit d’heure en heure. Bientôt on ne l’entendra plus. La nuit a l’âge de leurs pensées.

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