Le vieux fort – Nérée Beauchemin
Morne et sombre, au sommet d’un rocher de basalte,
Glorifiant le deuil, la pensée et l’effort
De ces vieux temps français que l’épopée exalte,
Se dresse, audacieux quand même, le vieux Fort.
De l’illustre poussière et de la noble cendre
De ceux qui, les derniers au poste sont restés,
Et qui, de leurs créneaux n’ont pas voulu descendre,
Les suprêmes terrains sont encore incrustés.
Jadis, malgré l’éclair et malgré te tonnerre
Du vieil épouvantail qui surplombe le sol,
L’aigle y venait, avant de regagner son aire,
Pour y reprendre souffle et reposer son vol.
La guerre est comme en fuite au loin dans le silence.
L’aigle ne revient plus. Le vieux Fort est muet.
Nul alarme ne vient troubler la somnolence
Des nocturnes veilleurs de la ronde et du guet.
Mais le soleil blessé de l’époque première,
Dont la gloire a saigné longuement sous nos cieux,
Il n’a pas après lui retiré sa lumière,
Il ne s’est pas éteint dans l’âme et dans les yeux.
Par les plus humbles toits, par les plus hautes flèches,
Par tous les monuments de la fidélité,
Par la ruine même aux glorieuses brèches,
Le vieil astre royal est sans fin reflété.
Sur tous les souvenirs que couronne et décore
La palme des prélats où le laurier des rois,
C’est le même rayon qui plane et vibre encore,
Et le nimbe est visible à la cime des croix.
Où donc est la conquête ? Où donc est la défaite ?
Les flots ont-ils rongé le granit immortel ?
L’éclair a-t-il rompu le trépied du prophète ?
Les vents ont-il soufflé les flambeaux de l’autel ?
Le peuple a-t-il cessé d’espérer et de croire ?
A-t-il perdu le bon aloi du vieil esprit ?
A-t-il cessé de lire à ce livre de gloire
Que, de leur rude main, les siècles ont écrit ?
Non. La Place est quand même encore haute et forte.
La vieille Garde veille, et son front est serein ;
L’armure de justice et d’honneur qu’elle porte
Est plus impénétrable aux coups qu’un triple airain.