Dans l’air frais du matin – Albert Samain
Dans l’air frais du matin où s’effare la feuille,
Dans la jeune clarté des jours roses et bleus,
Dans la nuit solennelle et pure où se recueille
L’âme présente encor des bergers fabuleux,
Dans le cristal des eaux, dans le velours des mousses
Dans l’innocence en fleur des jardins radieux,
Dans le concert que font toutes les choses douces,
Je retrouve, ô ma sœur, la douceur de tes Yeux.
Le printemps odorant la divine féerie,
Le renouveau fêtant sa jeune volupté
S’incarne pour mon coeur dans ta robe fleurie
Et dans ton corps exquis comme un rêve sculpté.
Les Parfums, les Couleurs, la tendresse de vivre,
Le mois vierge baigné de souffles et d’encens,
L’enluminure d’or aux marges du Vieux Livre,
Ô mon âme, c’est dans ton cœur que je les sens.
Le désir qui palpite à travers la nature
Et s’élance en festons étoilés dans les bois,
Je le sens frissonner parmi ta chevelure
Et je le vibre entier, rien qu’à serrer tes doigts.
Ce qui couve d’ardeurs suaves et de fièvres
Au sein mystérieux de la création
Se ramasse en mon coeur pour jaillir vers tes lèvres
Et ruisseler dans l’ombre en adoration.
Voici venir les temps où tu marches déesse,
Où la rose d’amour fleurit à tes seins blancs,
Où ton nom murmuré fiance une caresse
A la suavité des narcisses tremblants.
Voici venir les temps où tes beaux yeux limpides
Semblent plus clairs encore et plus profonds qu’hier,
Et versent à mon cœur plein de songes virides
L’ivresse d’un lever de lune sur la mer.
Et les fleurs sont tes yeux, et la lumière blonde
Ton sourire, et le ciel bleu-frêle ta douceur,
Et tout l’amour fumant de l’encensoir du monde
Ta lèvre sur mon âme appuyée, ô ma sœur.