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L’étrangère – Gertrud Kolmar

L’étrangère – Gertrud Kolmar

La ville est pour moi un vin multicolore
Dans la coupe de pierre polie ;
Elle se dresse et scintille vers ma bouche
Et me dépeint en son orbe.

Son cercle creusé reflète
Ce que chacun connaît, mais qu’aucun ne sait ;
Car nous frappent d’aveuglement toutes les choses
Qui sont pour nous communes et quotidiennes.

Les maisons m’opposent un mur abrupt
Avec un suffisant : « Ici chez nous… »,
Le visage vitreux de la petite boutique
Farouchement se ferme : « Je ne t’ai pas appelée ».

Mon pavé épie et ausculte mon pas
Plein de suspicion et de curiosité,
Et là où il palpe le bois et la glu,
Il parle une autre langue que chez moi.

La lune tressaille rougeâtre comme un meurtre
Au-dessus d’un corps lointain, d’une parole égarée,
Quand la nuit se fracasse sur ma poitrine
Le souffle d’un monde étranger.

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