Rumeurs – Birago Diop
Sur l’épais mur, l’âpre mur des rauques rumeurs
J’ai collé mon oreille lasse et alourdie
Pour écouter à travers vos vaines clameurs
L’écho d’une voix mourante, morte, assourdie
Par l’épais mur, l’âpre mur des rauques rumeurs.
Dans l’aube froide et blême et sale et mal venue
Et qui n’enfantera qu’un avorton de jour,
Le mur est monté, monté plus haut que les nues,
Roc sans une faille, sombre bloc sans contours
Dans l’aube froide et blême et sale et mal venue.
A la méridienne, s’écaillant de lueurs,
Le mur épais devenait un vaste incendie
D’où coulaient et grésillaient larmes et sueurs,
Larmes d’enfants, sueurs d’hommes, chair engourdie
Dans la méridienne s’écaillant de lueurs.
Sur l’épais mur, l’âpre mur des rauques rumeurs
J’ai posé mes pieds plats pauvre pêcheur perclus,
Tirant de la gangue gluante de torpeurs
La pirogue partant pour tous les pays perdus
Dans l’épais mur, l’âpre mur des rauques rumeurs.
L’âpre mur s’est dressé au rouge crépuscule,
Comme un mont, roc rugueux au soleil rougissant,
Bloc noir de sang figé où poussaient des pustules
Alors qu’il fut bâti sur du sang innocent
L’âpre mur dressé dans le rouge crépuscule.
Et c’est la nuit. La noire et froide et vaste nuit
La noire nuit où les voix ont peur d’elles-mêmes ;
Les rumeurs et les cris, les sueurs et les bruits
Engrossent l’âpre lueur de nos âcres blasphèmes
Dans la noire nuit, dans la froide et vaste nuit.
Sur l’épais mur, l’âpre mur des rauques rumeurs
J’ai collé mon oreille alourdie et plus lasse,
Pour écouter à travers vos vaines clameurs
L’écho d’une voix, le bruit d’un souffle qui passe
Dans l’épais mur, l’âpre mur des rauques rumeurs.