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Grand deuil – Nérée Beauchemin

Grand deuil – Nérée Beauchemin

Dans le clair-obscur de la pièce close,
Où brûle une cire au reflet tremblant,
Rigide, et grandi par la mort, repose
Le corps d’un enfant habillé de blanc.

Sous la mousseline, on voit les mains jointes,
La mate blancheur des doigts ivoirins,
Les cheveux pleins d’ombre et les tempes ointes
Qu’auréole un flot de rayons sereins.

Jamais des flancs purs du neigeux carrare,
L’art n’a fait surgir un ange plus beau
Que cet Ariel, à la forme rare,
Qui gît, radieux et calme, au tombeau.

Sous l’eau sainte et sous l’huile du saint chrême
Le front du martyr s’est rasséréné,
La figure dit l’extase suprême,
La douleur, la paix du prédestiné.

La chambre de deuil est toute drapée
De gaze. Nul bruit. Plus rien. Par moment,
Une faible voix tendre, entrecoupée
De soupirs, gémit désespérément.

Ils sont là, tous deux, le père et la mère,
Abattus, défaits, tristes à mourir :
Nul mal n’est égal à leur peine amère.
Rien ne les fit tant pleurer, tant souffrir.

Après tant de coups, on croyait, quel rêve !
Bien s’être acquittés de souffrir. Il faut
Pleurer et souffrir et pleurer sans trêve :
C’est la volonté du Dieu de là-haut.

Dix ans ! C’est le fils, l’aîné, l’espérance,
La joie et l’amour de deux malheureux.
Cher bonheur qu’il faut payer en souffrance !
Oh ! que le chemin du ciel est affreux !

Ils sont là, tous deux, esseulés, funèbres,
Sans parler, cherchant, presque fous, à voir
Dans ces yeux déjà voilés de ténèbres,
La faible lueur d’un suprême espoir.

Lourdes de sommeil, fixes, les paupières
S’ouvrent à demi : dans les yeux hagards
Flotte, encore mouillé des larmes dernières,
L’adieu triste et doux des derniers regards.

La Mort pâle a ceint de ses violettes
Ce pur et beau front d’albâtre rosé ;
Et la bouche fine, aux lèvres muettes,
Sourit d’un divin sourire apaisé.

Ils sont là, cloués au sol, sous l’empire
De ce captivant sourire trompeur ;
La mère, à genoux, sans prier, soupire,
Le père, debout, est blanc de stupeur.

La femme nerveuse et frêle se pâme,
En larmes de sang son cœur coule à flots ;
L’homme, fait aux deuils, aux douleurs de l’âme,
Suffoque, étouffant soupirs et sanglots.

Parfois, doucement, une main qui tremble
De crainte et d’amour, soulève à demi
Le suaire : on voit s’incliner ensemble
Deux fronts au-dessus de l’ange endormi.

Qu’il est beau ! la nuit d’outre-tombe voile
À peine l’éclat de l’esprit éteint ;
L’âme transparaît : telle une humble étoile
Nous luit à travers l’ombre, au ciel lointain.

Mystère cruel ! s’il dormait ? Quel doute !
La pensée, éther vif, rayon subtil,
Au ciel, brusquement, s’en va-t-elle toute ?
Un reste des sens en nous survit-il ?

Vagues questions, sans suite, sans nombre,
Que se fait tout bas le cœur criminel,
Dédale infini de plus en plus sombre,
Où vague et se perd l’amour maternel.

Minuit sonne. Au pied du blême cadavre,
Dans le vide noir du logis qui dort,
Veillent seuls, en proie au deuil qui les navre,
Les derniers amis du cher petit mort.

Et l’horloge au lourd balancier lent, tinte,
Lugubre, le glas de l’heure qui fuit,
Et le grave son, que rythme la plainte
Du vent, assombrit l’horreur de la nuit.

Ô douleur ! ô nuit ! quand verrons-nous poindre
Ces jours éternels, longtemps attendus ?
Oh ! quand pourrons-nous à jamais rejoindre
Tous ces morts aimés qu’on croyait perdus ?

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