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Méditations – Jean Cocteau

Méditations – Jean Cocteau

Biblio. Bibliographie. Littérature, 16e année, n° 8 : Jean Cocteau, octobre 1948.

Triste

Je conçois qu’il est triste de se dire que la terre n’est après tout qu’une boule assez funeste et que, vus d’un peu haut, ses merveilleux paysages ne sont que détritus dont nous sommes la vermine. Mais cette vermine a pris de l’orgueil. Et c’est le véritable péché originel d’avoir mordu le fruit de science. Cette vermine n’en peut sortir, n’ayant, pour se rassurer, combattre et vaincre son angoisse que l’orgueil de se mettre au pinacle et de croire qu’elle dirige les phénomènes où la nature la précipite. Témoins les guerres qui ne sont, comme les pestes, que pour détruire un excédent de monde et que les hommes s’imaginent déclarer à leur guise. Témoins les lois qui contrarient à l’aveuglette le mécanisme normal et punissent des actes dont la nature tire son équilibre. Témoins les savants qui collaborent à détruire, tout en tremblant, les forces qu’ils accumulent sans pouvoir mesurer l’étendue des catastrophes qui en résultent.

Tout cela engage la sagesse à se promener de la naissance à la mort en assistant au spectacle et en acceptant d’être accusée du crime de ne pas prendre parti : c’est où j’en arrive à cet engagement de l’âme qui fait aujourd’hui figure d’abstentionnisme et qui consiste à limiter son verdict à sa propre personne, à se mettre en pointe et à ne tourner cette pointe contre aucune chose ni contre aucun individu.

Sur les Mémoires du Cardinal de Retz

La fourmilière que nous présente le cardinal de Retz dans ses Mémoires prouve à quel point le pouvoir écarte les hommes des grands problèmes et les enfonce dans un méandre dont ils ne peuvent plus sortir et qui, en outre, les mène généralement à leur perte.

Ce galimatias, pour employer un terme qu’il affectionne, ces démarches, ces visites secrètes des uns aux autres, cette harassante activité diurne et nocturne où le sommeil ne semble tenir aucune place et que la prétention de ceux qui s’y livrent transforme en intrigues profondes, toute cette ridicule comédie où les grandes lignes se noient devrait servir de leçon à ceux qui s’y consacrent à notre époque.

Neuf cent pages pour nous expliquer que le cardinal de Mazarin cherche à reprendre sa place, que la reine est un peu sotte, que Monsieur ne sait se résoudre à quoi que ce soit, que Monsieur le Prince est brave et que lui, Retz, court d’une chambre à l’autre avec ou sans chapeau, voilà de quoi décourager les partisans. Sans oublier les coliques et les fluxions sur l’œil et un grave Parlement qui adopte chaque jour des arrêts qui se contredisent et n’amènent que le désordre. Le roi ne peut rien. La reine ne peut rien. Monsieur ne peut rien. Les Princes ne peuvent rien. Le peuple ne peut rien. Personne ne peut rien, sauf le cardinal qui coquine tout un monde qui le déteste.

Voilà de quoi dégoûter de la politique et fortifier les coquins dans leurs entreprises.

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