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Les visions – Hadewijch d’Anvers

Les visions – Hadewijch d’Anvers

(Extrait de la vision VI)

C’était le jour des trois mages. J’avais en ce temps-là 19 ans, à ce qu’on me disait.

Alors, j’aurais voulu aller vers notre Seigneur.

Et j’étais en proie à un désir et un besoin véhément de savoir comment Dieu prend et donne à ceux qui se perdent en lui, et sont emportés par lui dans la fruition : c’est à dire ceux qui sont prêts à le suivre en sa volonté en toute chose.

Alors, ce jour-là, travaillée par ce désir (de savoir), je me sentis à nouveau touchée par l’amour et je fus ravie en esprit et menée vers là où me fut montré un lieu haut et impressionnant et sur ce lieu majestueux se trouvait un trône. Et celui qui se trouvait assis dessus était invisible et inconnaissable suite à la dignité des travaux (divins) qui s’effectuaient dans ce lieu élevé.

Siéger sur ce trône, cela dépasse tout entendement, tant céleste que humain.

Au-dessus de ce siège élevé, dans ce lieu élevé, je vis une couronne surpassant tous les diadèmes ; une couronne dont le contour englobait toute chose sous elle, et en dehors de cette couronne rien n’existait.

Et un ange s’approcha, avec un encensoir embrasé, et embrasé d’une fumée ardente. Et il s’agenouilla devant le lieu le plus élevé de ce siège, au-dessus duquel se trouvait cette couronne et l’encensa en disant :

‘O puissance inconnue et grand Seigneur tout-puissant, que te soient rendues ainsi la vénération et les actions de grâce de cette femme qui te recherche dans ton lieu caché, inconnu de ceux qui ne t’envoient pas une offrande enflammée, pourvue de flèches acérées telle qu’elle vous l’envoie avec sa jeunesse brûlante et sans cesse renouvelée – celle qui, aux yeux des gens, a 19 ans. C’est bien elle, Seigneur, qui vient te visiter en esprit, afin de te voir tel que tu es, là où on ne te comprend pas. Car cette vie inconnue que tu as fondée en elle, c’est à dire son amour ardent de son prochain, c’est cette vie même qui l’a guidée vers toi. Révèle-lui maintenant que c’est bien toi qui l’as fait venir ici et mène-là vers la perfection en toi.’

Et là, j’entendis une voix terrible et inouïe qui s’adressa à moi et elle me parla au travers d’une image, en disant :

‘Regarde-moi, qui je suis’, et je vis celui que je cherchais.

Et sa face le révéla avec une telle clarté que je vis en elle toutes les faces et les formes qui ont existé et qui existeront un jour et dont il reçoit louange et service, comme il est juste qu’il les reçoive, et j’y vis aussi pourquoi chacun reçoit ce qui lui revient, que ce soit damnation ou bénédiction, de façon à ce que chacun occupera la place qui lui est propre, et comment il se fait que qui errent, en s’éloignant de lui et retournent fièrement vers lui et deviennent plus beaux qu’ils ne l’étaient déjà, et pourquoi d’autres errent et n’arrivent plus à le rejoindre, et pourquoi d’aucuns semblent toujours errer alors qu’en réalité ils ne se sont jamais éloignés, pas même un instant, de lui et sont restés sur place, avec tout leur être, tout en manquant de réconfort d’heure en heure tandis que d’autres, depuis leur enfance, réussissent à garder leur place et ne la quittent pas un seul instant, jusqu’à leur mort.

Je distinguai tous les êtres dans cette face.

Dans sa main droite je vis les dons de sa bénédiction, et là-dedans le ciel, grand-ouvert, et tous ceux qui y seront avec lui dans l’éternité.

Dans sa main gauche je vis l’épée aux coups effrayants avec lesquels il bat tout à mort. Là-dedans je vis l’enfer, et ceux qui y resteront éternellement.

Je vis sa longueur écrasée sous toute chose. Je vis sa petitesse élevée au-dessus de tout.

Je vis sa nature cachée qui comprend et entoure tout comme un fleuve. Je vis sa latitude enclose en toute chose. J’entendis ses raisonnements et je compris tous ses raisonnements avec mon raisonnement. Je vis, dans sa poitrine, la fruition complète de sa nature faite d’amour. Et toute autre chose que je vis, je la vis en esprit.

Mais ensuite, je fus émerveillée par cette richesse que j’avais vue en lui. Et suite à cet émerveillement je sortis de l’esprit au-dedans duquel j’avais vu tout ce que je cherchais ; et lorsque j’avais connu dans cette riche surabondance mon effroyable bien-aimé, ma douceur indicible, lors je tombai hors de l’esprit et de tout ce que j’avais vu en lui et tombai, en me perdant, dans la poitrine de la jouissance, celle de sa propre nature, qui est amour.

J’y restai, engloutie, perdue, hors de tout entendement, n’ayant plus rien à savoir, ni voir ni comprendre que d’être un avec lui et d’en jouir. J’y restai moins d’une demi-heure.

Puis, je fus réveillée à nouveau à mon esprit et je connus comme je connaissais auparavant et je compris tout raisonnement.

Et il me dit, en vérité :

‘Après ceci, tu ne pourras plus damner ou bénir sans mon acquiescement, et tu donneras à chacun ce à quoi il a droit selon sa propre valeur. C’est ainsi que je suis dans la fruition et dans la connaissance et dans l’emportement pour ceux qui accomplissent ma volonté.

Et je t’accompagne, moi, Dieu et homme, à nouveau dans ce monde cruel, où tu goûteras à toutes les morts, jusqu’à ce que tu reviennes ici dans la totalité de mon nom de la jouissance, ce nom dans lequel tu as été baptisée dans ma profondeur.

Et à ces mots je fus, hélas, ramenée en moi-même.

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