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Bacchante – Albert Samain

Bacchante – Albert Samain

J’aime invinciblement. J’aime implacablement.
Je sais qu’il est des coeurs de neige et de rosée ;
Moi, l’amour sous son pied me tient nue et brisée ;
Et je porte mes sens comme un mal infamant.

Ma bouche est détendue, et mes hanches sont mûres ;
Mes seins un peu tombants ont la lourdeur d’un fruit ;
Comme l’impur miroir d’un restaurant de nuit,
Mon corps est tout rayé d’ardentes meurtrissures.

Telle et plus âpre ainsi, je dompte le troupeau.
Les reins cambrés, je vais plus que jamais puissante ;
Car je n’ai qu’à pencher ma nuque pour qu’on sente
L’odeur de tout l’amour incrusté dans ma peau.

Mon cœur aride est plein de cendre et de pierrailles ;
Quand je rencontre un homme où ma chair sent un roi,
Je frissonne, et son seul regard posé sur moi
Ainsi qu’un grand éclair descend dans mes entrailles.

Prince ou rustre, qu’importe, il sera dans mes bras.
Simplement – car je hais les grâces puériles –
Je collerai ma bouche à ses dents, et, fébriles,
Mes mains l’entraîneront vers mon lit large et bas.

La flamme, ouragan d’or, passe, et, toute, je brûle.
Après, mon coeur n’est plus qu’un lambeau calciné ;
Et du plus fol amour et du plus effréné
Je m’éveille en stupeur comme une somnambule.

Tout est fini ; sanglots, menaces, désespoirs,
Rien n’émeut mes grands yeux cernés de larges bistres
Oh ! Qui dira jamais quels cadavres sinistres
Gisent sans sépulture au fond de mes yeux noirs ! …

Vraiment, je suis l’amante, et n’ai point d’autre rôle.
Dans mon coeur tout est mort, quand le temps est passé.
Ma passion d’hier ? … c’est comme un fruit pressé
Dont on jette la peau par-dessus son épaule.

Mon désir dans les cœurs entre comme un couteau ;
Et parmi mes amants je ne connais personne
Qui, sur ma couche en feu, devant moi ne frissonne
Comme devant la porte ouverte du tombeau.

Je veux les longs transports où la chair épuisée
S’abîme, et ressuscite, et meurt éperdument.
C’est de tant de baisers, aigus jusqu’au tourment,
Que je suis à jamais pâle et martyrisée.

Je sais trop combien vaine est la rébellion.
Raison, pudeur, qui donc entrerait en balance ?
Quand mes sens ont parlé, tout en moi fait silence,
Comme au désert la nuit quand gronde le lion.

Oh ! Ce rêve tragique en moi toujours vivace,
Que l’amour et la mort, vieux couple fraternel,
Sur mon corps disputé, quelque soir solennel,
Comme deux carnassiers, s’abordent face à face ! …

Qu’importe j’irai ferme au destin qui m’attend.
Sous les lustres en feu, dans la salle écarlate,
Que mon parfum s’allume, et que mon rire éclate,
Et que mes yeux tout nus s’offrent ! … Des soirs, pourtant

Je tords mes pauvres bras sur ma couche de braise.
Triste et repue enfin, j’écoute avec stupeur
L’heure tomber au vide effrayant de mon coeur ;
Et mon harnais de bête amoureuse me pèse.

Mes sens dorment d’un air de félins au repos…
Mais leur calme sournois couve déjà l’émeute.
Déjà, déjà, j’entends les abois de la meute,
Et je bondis avec mes cheveux sur mon dos !

Oh ! Fuir sans arrêter pour boire aux sources fraîches,
Pour regarder le ciel comme un petit enfant…
Le ciel ! … l’archer est là souriant, triomphant ;
Et, folle, sous la pluie innombrable des flèches,

Je tombe, en blasphémant la justice des dieux !
Aveugle et sourde, hélas ! Trône la destinée.
Et mon âme au plaisir féroce condamnée
Pleure, et pour ne point voir met ses mains sur ses yeux.

Mais écoutez… voici la flûte et les cymbales !
Les torches dans la nuit jettent des feux sanglants ;
Ce soir, les vents du sud ont embrasé mes flancs,
Et, dans l’ombre, j’entends galoper les cavales…

Malheur à celui-là qui passe en ce moment !
Demi-nue, et penchée hors de ma porte noire,
Je l’appelle comme un mourant demande à boire…
Il vient ! Malheur à lui ! Malheur à mon amant !

J’aime invinciblement ! J’aime implacablement !

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