Abandon – Birago Diop
Dans le bois obscurci
Les trompes hurlent, hululent sans merci
sur les tam-tams maudits.
Nuit noire, nuit noire !
Le lait s’est aigri
Dans les calebasses
La bouillie a durci
Dans les vases,
Dans les cases
La peur passe, la peur repasse,
Nuit noire, nuit noire !
Les torches qu’on allume
Jettent dans l’air
Des lueurs sans volume,
Sans éclat, sans éclair,
Les torches fument,
Nuit noire, nuit noire !
Des souffles surpris
Rôdent et gémissent
Murmurant des mots désappris,
Des mots qui frémissent,
Nuit noire, nuit noire !
Du corps refroidi des poulets
Ni du chaud cadavre qui bouge
Nulle goutte n’a plus coulé
Ni de sang noir, ni de sang rouge,
Nuit noire, nuit noire !
Les trompes hurlent, hululent sans merci
Sur les tam-tams maudits,
Nuit noire, nuit noire !
Peureux le ruisseau orphelin
Pleure et réclame
Le peuple de ses bords éteints
Errant sans fin, errant en vain
Nuit noire, nuit noire !
Et dans la savane sans âme
Désertée par le souffle des anciens
Les trompes hurlent, hululent sans merci
Sur les tam-tams maudits
Nuit noire, nuit noire !
Les arbres inquiets
De la sève qui se fige
Dans leurs feuilles et dans leur tige
Ne peuvent plus prier
Les aïeux qui hantaient leur pied
Nuit noire, nuit noire !
Dans la case où la peur repasse
Dans l’air où la torche s’éteint
Sur le fleuve orphelin,
Dans la forêt sans âme et lasse
Sur les arbres inquiets et déteints
Dans les bois obscurcis
Les trompes hurlent, hululent sans merci
Sur les tam-tams maudits
Nuit noire, nuit noire !