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2ème vision mémorable – William Blake

2ème vision mémorable – William Blake

Les prophètes Isaïe et Ezechiel soupaient avec moi. Je leur demandai comment ils osaient si librement affirmer que Dieu leur parlait. N’avaient-ils point songé, ce faisant, qu’ils risquaient de n’être pas compris, de prêter appui à l’imposture ?

Isaïe répondit : « Certes, je ne vis ni n’entendis aucun Dieu par quelque perception limitée de mes organes, mais mes sens découvrirent l’infini dans chaque chose, et dès lors je me convainquis de ceci, dont je demeure persuadé : que la voix de l’indignation sincère est voix de Dieu ; je ne m’inquiétai point des conséquences ; j’écrivis.

— Pour qu’une chose soit, demandai-je alors, la ferme conviction qu’elle est, suffit-elle ? »

Il répondit : « Les poètes le croient. Cette ferme conviction, dans les siècles d’imagination, remuait les montagnes ; mais peu nombreux sont ceux capables, en quoi que ce soit, d’une conviction véritable. »

Ezechiel dit alors : « La philosophie de l’Orient enseigna les premiers principes de la perception humaine, telle nation voyait l’origine dans tel principe, telle autre nation dans tel autre principe ; nous d’Israël, enseignâmes que le génie poétique — ainsi que vous le nommez maintenant — était le principe initial, et que tous les autres en dérivaient ; de là noire mépris pour les prêtres et les philosophes des autres contrées, et c’est pourquoi nous allions prophétisant que tous les dieux trouvaient en nous leur origine, comme il serait enfin prouvé, tributaires du Génie Poétique ; c’était là ce que notre grand poète-roi David désirait avec tant de ferveur, et invoquait si pathétiquement, à quoi, disait-il, il devait l’assujettissement des ennemis et le gouvement des royaumes ; et nous aimions notre Dieu jusqu’à maudire en son nom toute autre déilé des nations environnantes et que nous déclarions révoltées ; de sorte que le vulgaire vint à penser que toutes les nations seraient à la fin soumises aux Juifs. Cela, dit-il, fut appelé à se réaliser, ainsi que toutes les fermes convictions, car toutes les nations reconnaissent présentement le code juif et vénèrent le dieu des Juifs. Or peut-il y avoir sujétion plus grande ? »

J’entendis tout cela avec stupeur et dus confesser ma conviction personnelle.

Après le repas, je priai Isaïe d’accorder au monde la révélation de ses œuvres perdues ; il me dit qu’il ne s’en était perdu aucune qui eût quelque valeur. Ezechiel me parla de même.

Je demandai alors à Isaïe pour quel motif il était allé, corps et pieds nus, durant trois ans. Il répondit : « Pour le même motif qui fit aller ainsi notre ami Diogène, le Grec. »

Je demandai à Ezechiel ce qui le fit manger des excréments et rester si longtemps de suite, gisant sur le flanc droit ou le flanc gauche ? Il répondit : « Le désir d’élever les autres hommes jusqu’à la perception de l’infini : les tribus de l’Amérique du Nord ont des pratiques semblables ; et celui-là est-il honnête qui résiste à son génie ou à sa conscience, pour le seul amour de ses aises et d’une présente satisfaction ? »

L’ancienne tradition, selon laquelle le monde doit être consumé par le feu, au bout de six mille ans, est vraie, ainsi que je l’ai appris de l’Enfer.

Car le chérubin au glaive de flamme sera relevé de sa garde auprès de l’arbre de vie, et aussitôt la création entière sera consumée, et tout ce qui maintenant nous paraît fini et corrompu, nous apparaîtra infini et pur.

Ceci sera obtenu par une amélioration de la jouissance sensuelle.

Mais tout d’abord cette distinction entre le corps humain et l’âme humaine, devra être abolie : ceci je l’obtiendrai, en imprimant selon la méthode infernale, avec des corrosifs, qui dans l’Enfer sont des vulnéraires et des baumes — qui volatilisent les surfaces apparentes et découvrent l’infini que celles-ci dissimulaient.

Si les fenêtres de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l’homme, — ainsi qu’elle l’est — infinie.

Car l’homme s’est lui-même enfermé jusqu’à ne plus rien voir qu’à travers les fissures étroites de sa caverne.

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