La maison de Gérin – Nérée Beauchemin
Vieille demeure canadienne,
Dont l’âge et la solidité
Expriment bien la race ancienne,
Et son orgueil d’être terrienne,
Et son rêve d’éternité.
L’homme pieux qui t’a bâtie
Repose à l’ombre du clocher ;
Mais la vivante sympathie
Qui te fut toujours départie,
Le temps ne peut te l’arracher.
Quel prix as-tu donc, quel mérite,
Devant l’histoire et devant Dieu ?
Maison qu’une ombre chère habite,
Est-ce d’avoir été bénite
Par le premier curé du lieu ?
Demeure entre toutes aimée
De tes anges et de tes saints,
D’où vient-elle, ta renommée,
Toi qui vécus toujours fermée
À nos ambitieux desseins ?
Retraite où le doux solitaire,
François de Sales, eut trouvé
Pour y vivre la vie austère,
La paix, le calme, le mystère
Du cher petit coin tant rêvé !
Dans le décor des vieilles choses
Que le ciel se plaît à bénir,
Quelles prestigieuses causes
Attirent vers tes portes closes
Les pèlerins du souvenir ?
Dans un lointain de rêverie,
N’entends-tu pas le bruit profond,
La grave louange attendrie
De cette petite patrie
Dont le cœur à ton cœur répond ?
Maison des aïeux, c’est la Terre,
Une au foyer, une à l’autel,
Qui ne peut oublier ni taire
Tout ce que l’âme héréditaire
A produit de plus immortel.
Ils viennent, enchantés, sans doute,
Par le dolent et doux refrain,
L’air que, sans pleurer, nul n’écoute,
L’air nostalgique où vibre toute
L’âme divine de Gérin ;
Peuple qu’un même amour inspire,
Ils ont voulu qu’un fier métal,
Pour les siècles, fasse reluire
Le nom de l’aède et la lyre,
De tout l’or du soleil natal ;
Et tous, devant l’image agreste
Que respecte le bon passant,
Ils ont, avec le même geste,
Glorifié tout ce qui reste,
Tout ce qui charme en vieillissant.
Et toi, qu’il évoque en son livre,
Mère auguste, c’est ta bonté
Qui, jusqu’au bout, lui fit poursuivre
L’ouvrage qui le fait survivre :
C’est par ton cœur qu’il a chanté.
Chère morte, ombre sainte, agrée
Les honneurs dont il se défend.
Que ta maison nous soit sacrée !
Qu’elle soit à jamais parée
De la gloire de ton enfant !