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De la conduite que les troupes doivent tenir – Sun Tzu

De la conduite que les troupes doivent tenir – Sun Tzu

Sun Tse dit :

Avant de faire stationner vos troupes, sachez dans quelle posi­tion sont les ennemis, renseignez‑vous sur le terrain et choisissez ce qui vous offre le plus d’avan­tages. Ces différentes situations peuvent se réduire à quatre points.

  1. Dans un pays montagneux, occupez les ver­sants qui regardent le sud et non ceux qui sont exposés au nord. Cet avantage est d’impor­tance (58). Sur ce versant choisi, étendez‑vous jus­qu’au bas des vallées pour y trouver l’eau et les fourrages, vous serez égayé et réchauffé par le soleil et l’air y est plus salubre.

    Si les ennemis surviennent par l’autre versant pour vous surprendre, vous en serez prévenu par les postes que vous aurez placés à la crête. Vous vous retirerez si vous n’êtes pas en force pour leur résister ou vous vous préparerez à combattre si vous estimez pouvoir être vainqueur sans trop de pertes. Mais ne combattez sur les crêtes que par nécessité et n’allez jamais y chercher l’ennemi.

  2. Si vous êtes près d’une rivière, approchez­-vous le plus possible de sa source. Reconnaissez les endroits marécageux et les points où elle peut être franchie. Si vous avez à la passer, ne le faites jamais en présence de l’ennemi, mais, si celui-ci veut en tenter le franchissement, attendez que la moitié de ses effectifs soit de l’autre côté : vous serez ainsi à deux contre un (59). Près des rivières, tenez toujours les hauteurs d’où vous pourrez observer l’ennemi, mais n’attendez pas celui-ci près des bords et n’allez pas nu devant de lui. Tenez‑vous sur vos gardes afin qu’en cas de sur­prise, vous ayez un lieu pour vous y retirer.
  3. Des lieux humides, marécageux et malsains, éloignez‑vous au plus vite, car de grands maux vous y attendent, notamment la disette et les épidémies. Si vous êtes contraint d’y rester, pla­cez‑vous sur les bords et gardez‑vous de pénétrer trop avant. Une forêt, laissez‑la derrière vous.
  4. Dans une plaine sans obstacle, vos ailes ne doivent pas avoir la vue masquée et il faut cher­cher derrière votre centre une élévation qui puisse permettre de découvrir le terrain en avant. Si les avants ne présentent que des objets de mort, ménagez derrière vous des lieux où vous trouverez des remèdes contre l’extrême nécessité.

De l’art de faire stationner judicieusement ses troupes dépend la plus grande partie des succès militaires. C’est parce qu’il possédait à fond cet art que l’empereur Siuann‑iuann(Hoang‑Ti) triompha de ses ennemis et soumit tous ses voisins. De tout ce qui précède, il faut conclure que, pour des raisons de salubrité, il faut préférer les hauteurs aux lieux bas ; sur les hauteurs, il faut choisir le côté du midi à cause de sa fertilité et de son abondance. Ainsi s’augmentent les chances de succès car le bien-­être et la santé, conséquences d’une bonne nourri­ture, donnent au soldat force et courage, tandis que la tristesse et les maladies l’épuisent et le décou­ragent.

Les campements près des rivières ont des avan­tages qu’il ne faut pas négliger et des inconvénients qu’il convient d’éviter. De préférence, tenez l’amont et laissez l’aval à l’ennemi, car vous aurez ainsi l’avantage des gués plus nombreux et des eaux plus salubres.

Après des pluies abondantes, attendez pour vous mettre en marche que les affluents supérieurs aient déversé leurs eaux et ne franchissez pas la rivière que celle‑ci ait repris son courant normal. Vous le discernerez lorsque vous n’entendrez plus le grondement des eaux, que l’écume cessera de surnager et que le sable et la terre ne couleront plus avec l’eau.

Si le hasard ou la nécessité vous ont conduit dans des lieux parsemés de défilés, coupés de pré­cipices, couverts de forêts denses ou de marais fangeux, retraversez‑les promptement et éloignez­-vous-en le plus vite possible. En vous éloignant, l’ennemi s’en rapprochera. Si vous retraitez, l’en­nemi vous poursuivra et c’est lui qui sera exposé aux dangers que vous avez évités.

Gardez‑vous également de ces sortes de pays entrecoupés de petits bois ou d’épais taillis ou de ces contrées pleines de hauts et de bas, où col­lines et vallons se succèdent. Défiez‑vous-en, car ils sont propices aux embuscades. De ces couverts, à chaque instant, l’assaillant peut sortir et vous attaquer. Si vous en êtes loin, n’en approchez pas ; si vous en êtes près, ne vous mettez pas en marche qu’ils n’aient été fouillés. Si l’ennemi vous y attaque, qu’il ait contre lui le désavantage du terrain. Pour vous, ne l’attaquez que lorsqu’il sera à découvert. Enfin, quel que soit le lieu de stationnement choisi, bon ou mauvais, sachez en tirer parti : activité et vigilance, surveillez tous les mouvements de l’ennemi, portez des espions de distance en distance jusqu’au milieu de l’en­nemi, jusque dans la tente du général et ne négli­gez rien des informations qu’ils vous enverront. Faites attention à tout.

Si votre découverte vous dit que les arbres bougent, bien qu’il n’y ait pas de vent, c’est que l’ennemi est en marche. Il se peut qu’il vienne à vous : préparez‑vous soit à le recevoir, soit à vous porter à sa rencontre. Si l’on vous dit que les herbes des champs sont très hautes, redoublez de vigilance, car une surprise est possible. Si l’on vous dit qu’on a vu des oiseaux attroupés voler par bandes sans s’arrêter, méfiez‑vous : des détache­ments s’approchent pour vous espionner ou vous tendre des embuscades, mais si, outre les oiseaux, les quadrupèdes errent dans la campagne comme s’ils n’avaient plus de gîte, c’est une marque que ces détachements se sont postés. Si on vous rap­porte qu’on aperçoit de loin des tourbillons de poussière s’élever dans l’air, concluez que l’ennemi est en marche. Si la poussière est épaisse et basse, ce sont des fantassins et là où elle est légère et haute, sont les cavaliers et les chars. Vous infor­me‑t‑on que l’ennemi se déplace par petits pa­quets : c’est qu’il a dû traverser quelque bois, qu’ils ont fait des abattis et qu’ils sont fatigués : ils cherchent alors à se rassembler. Si on voit dans la campagne des fantassins et des cavaliers isolés, dispersés, ça et là, par petites bandes, c’est une indication que les ennemis sont campés à proxi­mité.

Interprétez ces indices aussi bien pour préjuger la position de l’ennemi que pour faire avorter ses projets et vous prémunir contre une surprise.

Voici encore d’autres indices auxquels vous devez une attention particulière.

Si vos espions vous disent que, dans le camp ennemi, on parle bas et à mots couverts, que l’atti­tude des adversaires est réservée : concluez qu’une action générale est projetée et que les préparatifs sont en cours. N’attendez pas qu’ils vous sur­prennent, allez à eux promptement pour les sur­prendre. Si, au contraire, vous apprenez qu’ils sont bruyants et pleins de morgue, c’est qu’ils n’ont nulle idée d’en venir aux mains et pensent plutôt à retraiter. Si vous êtes informé que des chars vides précèdent les troupes, préparez‑vous à combattre car l’ennemi a déjà pris sa for­mation de bataille et ce n’est pas le moment d’écouter les propositions de paix ou d’alliance qu’il pourrait vous faire : ce ne serait qu’un arti­fice. L’ennemi s’approche‑t‑il à marches forcées : il tient la victoire pour assurée. S’il va, vient, tantôt avance et tantôt recule : c’est qu’il veut vous attirer au combat. Si vos adversaires sont apathiques, s’appuient sur leurs armes comme sur des bâtons : c’est qu’ils sont épuisés, réduits aux expédients et qu’ils meurent de faim ; si, passant près de quelque rivière, ils se débandent pour se désaltérer, c’est qu’ils souffrent de la soif ; s’ils dédaignent les appâts utiles que vous leur tendez, c’est qu’ils se défient ou qu’ils ont peur ; si le courage d’avancer leur fait défaut dans une cir­constance où ce mouvement s’impose : ce sont les soucis, les embarras ou les inquiétudes qui les retiennent.

En outre, repérez les campements successifs qu’ils ont occupés : les attroupements d’oiseaux, à certaines places, vous les signaleront. Si ces campements se succèdent à courte distance, vous pourrez conclure que vos ennemis montrent peu de talents dans la connaissance du terrain. Le vol des oiseaux ou les cris de ceux‑ci peuvent vous indiquer la présence d’embuscades invisibles.

Si le camp ennemi vous offre le spectacle de festins et ripailles ininterrompues, réjouissez-vous-en : c’est la preuve infaillible que les généraux n’ont aucune autorité.

Si leurs étendards changent souvent de place, c’est une preuve d’irrésolution. Si les gradés subal­ternes sont inquiets, nerveux, mécontents et susceptibles, c’est que des soucis les préoccupent ou qu’ils sont accablés par la fatigue. Si l’on tue des chevaux en cachette pour les dévorer, c’est que les provisions tirent à leur fin.

Une telle minutie dans les détails peut vous paraître superflue, mais cette énumération n’a pour but que d’appeler votre attention sur la nécessité d’observer et de réfléchir et de vous convaincre que rien n’est inutile qui peut contri­buer au succès. L’expérience me l’a appris : elle vous l’apprendra de même, mais que ce ne soit pas à vos dépens.

Encore une fois, éclairez‑vous sur l’ennemi quoi qu’il fasse, mais veillez aussi sur vos propres troupes. Voyez tout et sachez tout. Il faut inter­dire le vol, le brigandage, la débauche et l’igno­rance, les mécontentements et les complots, la paresse et l’oisiveté. Sans même qu’on vous en informe, voici comment, par vous‑même, vous pourrez vous en rendre compte :

Si quelque soldat, en se déplaçant, laisse tomber un objet, même de minime valeur, et ne se baisse pas pour le ramasser ; si, ayant perdu un ustensile, il ne le réclame pas : c’est un voleur. Qu’il soit puni comme tel.

Si, parmi vos gens, il y a des conciliabules, si l’on y parle de bouche à oreille, si l’on ne désigne les choses qu’à demi-mot : c’est que la peur a fait son apparition, que le mécontentement couve et que des cabales vont se former : mettez‑y promp­tement ordre.

Si la troupe paraît minable et que certaines choses utiles lui font défaut, ajoutez à la solde un petit supplément, mais ne soyez pas prodigue, car abondance d’argent est plus funeste qu’impé­cuniosité. Par l’abus qu’on en fait, elle est source de corruption et mère de tous les vices.

Si d’audacieux qu’ils étaient, vos soldats deviennent craintifs, si la force fait place à la fai­blesse, la lâcheté au courage, c’est que le moral est altéré. Cherchez la cause de la dépravation et tranchez‑la jusqu’à la racine.

Si de nombreux soldats demandent leur libé­ration du service, c’est qu’ils ne veulent plus se battre. Ne refusez pas tous les congés, mais imposez des conditions humiliantes à ceux qui les obtiendront.

S’ils viennent en troupe réclamer justice sur un ton arrogant, écoutez leurs raisons, donnez­-leur satisfaction d’un côté, mais sachez réprimer durement de l’autre.

Si un ordre donné n’est pas suivi d’une prompte obéissance, si l’on tarde à venir ou à se retirer : méfiez‑vous et soyez sur vos gardes.

La conduite des troupes demande des attentions sur tout, aussi bien sur l’ennemi que sur vos troupes. Quand augmente le nombre de vos adversaires, vous devez être informé de la mort ou de la déser­tion du moindre de vos soldats.

Si, parce que ses forces sont inférieures, l’ennemi n’ose vous assaillir, attaquez‑le sans délai, sans lui laisser le temps de se renforcer : une seule bataille, dans ce cas, peut être décisive. Mais si vous ignorez la force actuelle de l’ennemi et que, n’ayant pas mis ordre à tout, vous vous avisez de le harceler pour l’engager au combat, vous risquez de tomber dans un piège et de vous faire battre. Si la discipline n’est pas maintenue, si les fautes ne sont pas réprimées, vous perdrez toute autorité et tout respect et, par la suite, l’emploi des châ­timents les plus rigoureux ne fera qu’augmenter le nombre des coupables. Or, si vous n’êtes ni craint, ni respecté, si vous êtes dépourvu d’autorité, comment pouvez‑vous être avec honneur à la tête de l’armée, comment pourrez‑vous combattre les ennemis de l’État ?

Quand vous devez punir, faites‑le rapidement et dès que les fautes l’exigent. Quand vous avez des ordres à donner, ne les donnez qu’avec la certitude que vous serez promptement obéi ; ins­truisez vos troupes en leur inculquant des notions pratiques ; ne les ennuyez pas, ne les fatiguez pas sans nécessité. Le bon et le mauvais, le bien et le mal qu’elles peuvent faire est entre vos mains. Avec les mêmes individus, une armée peut être très méprisable avec tel général et invincible avec tel autre.

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