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Le spectre – Robert le Magnifique

Le spectre – Robert le Magnifique

Condamné à errer de nuit en nuit, jeûnant le jour dans un cachot de flammes
Tant que le feu n’aura lavé les crimes de ma vie naturelle
Qu’on me laisse révéler le secret de ma prison
Les mots de mon récit écorcheraient ton âme, glaceraient ton jeune sang
Feraient jaillir tes yeux hors de leurs sphères tels des étoiles
Déferaient tes boucles, dressant chaque cheveu
Pris en lui-même comme un piquant du porc-épic fiévreux
Mais le sang et la chair ne doivent pas entendre ce blason d’éternité
Écoute, écoute-moi, écoute
Si jamais tu aimas ton tendre père
Venge son meurtre infâme et sans nature
L’infâme est dans tout meurtre mais ce meurtre il fut infâme, étrange et sans nature

Saisi ?
Hamlet
Écoute

On fait accroire que j’étais assoupi dans mon verger quand un serpent vint à me mordre
Cette fétide forgerie de mort abuse l’oreille des Danois
Sache, mon fils, que le serpent qui a mordu ton père règne aujourd’hui, oui
Ce fauve adultère, incestueux, à l’esprit de sorcier, aux présents fourbes
Maudit esprit, maudits présents s’ils peuvent séduire ainsi
Conquit la volonté et la vertu semblante de ma reine
Pour la plier à sa luxure infecte, Hamlet ! Ah quelle chute ce fut là !
Moi, dont l’amour avait la dignité et la fermeté dans le respect du vœu donné pour le mariage
Et lui, un être dont les dons naturels étaient si pauvres devant les miens
Tombé si bas
Mais la vertu ne s’émeut pas du vice qui la courtise en se parant de ciel
Et la luxure, unie au plus bel ange, après s’être gavée d’un nid céleste se repaîtra d’ordures

Mais je pressens déjà l’air du matin, soyons brefs
Je dormais dans mon verger, l’après-midi, selon mon habitude
Ton oncle s’y glissa comme un voleur, avec ce suc maudit de l’hébénon
Et me mit dans le porche des oreilles cette liqueur lépreuse
Dont l’effet est à ce point hostile au sang de l’homme
Qu’aussi rapide que le vif-argent elle entre par les portes naturelles et les allées du corps
Et fige et caille plus fort que du vinaigre dans du lait le sang fluide et sain
Ainsi pour moi et dans l’instant une dartre une lèpre
Recouvrit d’une croûte infecte et vile la douceur de mon corps

Venge son meurtre infâme et sans nature

Ainsi je fus dormant et par mon frère
Privé de vie de couronne et de reine
Fauché soudain dans la fleur du péché
Sans sacrements sans onctions sans viatiques
Non préparé, jeté devant mes juges
Avec le poids de mes imperfections
Si ta nature est tienne, dresse-toi
Refuse au lit royal de Danemark d’être celui du stupre et de l’inceste
Mais quelque soient les chemins de ton acte
Que ton esprit, ton âme restent purs de rien tenter contre ta mère
Laisse le ciel et les chardons qu’elle a au cœur la déchirer

Mais vite, quittons-nous
Le ver luisant montre l’aurore proche
Et fait pâlir ses feux inefficaces

Adieu, adieu
Adieu, ne m’oublie pas.

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