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Deux jeunes hommes – Constant Cavafy

Deux jeunes hommes – Constant Cavafy

Depuis dix heures et demie il était au café,
Et s’attendait toujours à le voir apparaître.
Minuit vint,
Et il l’attendait encore.
Une heure et demie ;
Le café s’était presque entièrement vidé.
Il s’était lassé de lire des journaux,
Machinalement.
De ses trois pauvres schellings,
Un seul lui restait ;
En l’attendant, il avait dépensé le reste en cafés et en cognacs.
Il avait fumé toutes ses cigarettes.

Une si longue attente l’épuisait.
Car comme il était seul, depuis des heures entières,
Des pensées inopportunes sur sa vie dévoyée
Commencèrent, aussi, à s’emparer de lui.

Mais lorsqu’il vit entrer son ami
Aussitôt la fatigue, l’ennui, les pensées inopportunes s’évanouirent.
Son ami apporta une nouvelle inattendue ;
Il avait gagné soixante livres au tripot.

Leur beau visage,
Leur jeunesse merveilleuse,
L’amour affectueux qui les unissait,
Furent rafraîchis, ranimés, fortifiés
Par les soixante livres du tripot.

Et, pleins de joie et de vigueur,
Radieux de beauté,
Ils se rendirent,
Non pas dans leur honnêtes familles,
Où, d’ailleurs, on ne voulait même plus d’eux,
Mais dans une maison de débauche
Qui leur était familière, d’allure spéciale ;
Et, là, ils demandèrent une chambre
Et des boissons coûteuses,
Et de nouveau ils se mirent à boire.

Et, lorsque les boissons coûteuses furent épuisées,
Lorsqu’il fut près de quatre heures,
Ils se livrèrent,
Heureux,
A l’amour.

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