La fameuse invasion des ours en Sicile – Lorenzo Mattotti
Le long-métrage d’animation que met en scène Lorenzo Mattotti est écrit par Jean-Luc Fromental et Thomas Bidegain, qui font le choix plutôt osé de ne pas coller au texte original, le prolongeant, le nuançant et l’enrichissant. L’approche est délicate, tant La Fameuse Invasion de la Sicile par les Ours demeure aujourd’hui un texte révéré de la littérature jeunesse. Mais les deux auteurs, tous deux plus qu’aguerris, ne se contentent pas de s’approprier la création de Buzzati.
En multipliant les régimes de la narration, qui s’aventurent de flashbacks en allers-retours temporels, ils font le choix de mettre en avant l’oralité. En effet, si le récit s’ouvre sur la rencontre entre deux humains frigorifiés, à la recherche d’un abri au fond d’une grotte, c’est pour mieux les confronter à un ours, dont ils vont demander l’hospitalité en échange d’un récit, lequel occupera le cœur du film. Ainsi, ce sont des voix, un dialogue, qui structurent l’apparence même du récit, sa mise en scène, ses retournements et ses effets de style.
Cette foi dans la fonction du conteur, cet amour dans la capacité du verbe à se muer en idées, en concepts, puis en images indélébiles, sont assénés avec une douceur appréciable, et une délicatesse inversement proportionnelle aux épreuves traversées par les personnages. Et si le dispositif a parfois tendance à aplanir un peu le récit, il a heureusement le don de ramener le spectateur dans une position trop rare, celle d’un public oubliant soudain les trucs et les colifichets du conteur, pour mieux s’abandonner à l’émerveillement.
Une même fascination nous étreint quand Lorenzo Mattotti déploie toute l’ampleur de son style. Le dessinateur et cinéaste a étudié l’architecture, et sa volonté d’appréhender la narration par le biais de l’espace désarçonne initialement, avant de fasciner. Plutôt que de travailler le détail de l’expression, de jouer la course à la fluidité ou de travailler les textures jusqu’au vertige, il veille constamment à ce que les corps de ses protagonistes évoluent selon un ballet complexe, interagissant sans cesse avec le décor.
Ce dernier se compose à parts égales de formes ou chapes de couleurs évoluant en fonction de la dynamique de chaque séquence, et de véritables décors, dont la perfection colorée évoque régulièrement les délires utopiques de quelques ingénieurs optimistes et mégalos. Le résultat est souvent enchanteur, toujours complexe, et autorise la mise en scène à jouer avec élégance des jeux d’échelles, favorisant, notamment lors d’une euphorisante scène d’assaut, d’effets de montage alterné.
Véritable festin pour les yeux, La fameuse invasion des ours en Sicile pourra parfois sembler un peu trop aérien. À trop favoriser les atmosphères et les vertiges plastiques, le film manque parfois un chouia d’intensité, d’un peu de puissance dramatique. Mais ce qu’il perd en purs enjeux, le film le compense par une créativité de chaque instant, qui assure au métrage de conserver jusqu’à sa dernière image une identité tout à fait unique.