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Sur la mort de Barrès – Jean Cocteau

Sur la mort de Barrès – Jean Cocteau

Paris-Journal, vendredi 7 décembre 1923, 37e année, nouvelle série, n° 2478.

Puisque vous me demandez quelques lignes sur la mort de Barrès, j’en profite pour prier les jeunes gens qui veulent bien me croire de considérer mes attaques contre lui comme une façon de jeu royal. Il finissait lui-même par le comprendre : « Avez-vous, m’écrivait-il, d’autres pièces de mon procès ? J’aimerais les lire », et il ajoutait : « La poésie donne tous les droits. »

Ma dernière lettre portait en P. S. : « N’oubliez plus que j’ai mes morts à Montmartre et que ma terre c’est le trottoir. »

Il me répondit en signant une paix charmante. Le 4 je m’apprêtais à répondre à sa réponse.

Je vous avoue que j’imagine très mal Barrès mort. J’ai trop l’habitude, par-dessus le Barrès officiel, de voir un Barrès qui me fait des signes d’intelligence. Cette mort a quelque chose de bête et de couronné. Le Barrès que j’aime s’en moque et ne s’y laisse pas prendre. Comment oublier que son œuvre se termine par l’étonnante, touchante, adroite et belle réponse à l’enquête sur les maîtres de la jeune littérature ? Elle résume les tours de cet anarchiste délicieux.

Chacun de nous contient, comme un orgue mécanique, un nombre limité de mélodies. Barrès a fait entendre toutes les siennes. Il s’arrête et cède sa place au répertoire encore mystérieux de son nom. Je voulais dire qu’il risque une chance nouvelle et qu’il débute sous cette forme pendant qu’on croit l’ensevelir.

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