A la déesse inconnue – Rudyard Kipling
Conquerras-tu mon cœur par ta beauté, ô âme qui vient de loin ?
Tomberai-je entre tes mains, victime d’une chasse rusée et prudente ?
T’ai-je déjà rencontrée, sans le savoir, sans y réfléchir, comme un aveugle ?
Te croiserai-je l’été prochain à Simla, ô toi la plus douce et la meilleure de tes semblables ?
La malle des Indes te porte-t-elle vers moi ou, en Occident, vêtue d’une robe courte,
Cultives-tu les charmes qui ensorcelleront et tortureront le cœur qui bat dans ma poitrine ?
Resteras-tu dans les plaines jusqu’en septembre, ô ma passion aussi chaude que le jour ?
Me forceras-tu à me déclarer dans les montagnes ou bien là où tournent les ventilateurs ?
Quand la lumière de tes yeux rendra blafardes les misérables lumières que je poursuis,
Et que le sortilège de ta présence me fera délaisser le poney enjoué de ma partie de polo ;
Quand je serai las du whisky-soda et des lardons ; que j’achèterai des vêtements de Calcutta ;
Quand je quitterai le club «Au délice des ânes sauvages», parjure à ce que j’avais juré ;
Quand tel un cerf livré aux chasseurs je me débattrai au milieu des railleries de mes amis ;
Quand mes jours de liberté seront comptés, et que finira ma vie de célibataire ;
Ah, déesse ! enfant, célibataire, veuve – de même que sur la colline de Mars on éleva
Un autel au dieu inconnu, j’ai – moi, jeune païen – glorifié
La déesse que je ne connais ni n’adore ; pourtant, si la moitié de ce qu’on me dit est vrai,
Tu viendras un jour, et c’est donc pour toi que ces vers ont été écrits.