Rouge – Cristina Ali Farah
Aube écumeuse, tu nous surpris assombris et seuls,
alors que nous partions pour toujours.
Moi, sur la camionnette sale et une enveloppe précieuse dans les bras.
Je fixais ébahie les fusils appuyés sur les épaules.
Des guérilléros accompagnaient notre adieu. Et le sable recouvrait tout.
Parmi les dunes glissantes, de rares cabanes.
Les enfants sortaient en criant et les femmes tendaient le bras.
Attends.
C’est le dernier hommage.
L’angoisse n’a pas encore envahi leurs visages. J’en perçois l’odeur.
Maintenant je me rends compte que j’ai les lèvres salées.
Mais le ciel est pur, limpide, céruléen.
Je m’échappe de la mort et je la porte avec moi.
Si ce n’était pour le visage serein des enfants.
Au loin se dessine le contour de l’Océan.
Et je vois ferrugineux et lourd un stupide navire de guerre.
Un guérilléro lève son manteau rouge au vent, l’autre saisit deux coins.
Il ondoie flottant comme un poisson de mer, le manteau rouge.
Et se lève, du stupide navire de guerre, une libellule d’acier.
Mon père dit: « L’hélicoptère sera là sous peu, cours ».
Mais mes jambes se déplacent avec peine.
Depuis quelques heures tendre palpitante créature a jailli de mon ventre.
Maintenant je serre contre ma poitrine la précieuse enveloppe.
La libellule se lève. Mon père gesticule frénétique.
Mais je n’entends pas sa voix. Et je me tourne.
Je vois le guérilléro avec son manteau rouge.
Il est très jeune, comme moi. Il a peut-être dix-huit ans.
Et il cache son thorax avec le manteau rouge.
Il sourit.
« Maintenant il va revenir te prendre toi aussi » me dit-il.
« Et toi tu ne viens pas? »
Sa tête se balance. Comme le manteau rouge.
Et il tient le fusil en bandoulière. Mais son sourire est pur, ouvert, inoffensif.
Dans la libellule, cernée de parois en acier, j’observe pour la dernière fois.
Et je vois un long cordon de guérilléros cerner la plage.
Puis au centre un manteau rouge.
Qui flotte, se tord, s’élargit.