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Rêve triangulaire – Fernando Pessoa

Rêve triangulaire – Fernando Pessoa

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Rêve triangulaire

La lumière avait pris une tonalité jaune d’une lenteur excessive, un jaune sale et blême. Les intervalles entre les choses s’étaient élargis, et les sons, plus espacés, résonnaient d’une manière nouvelle, entrecoupée. On les avait à peine entendus qu’ils cessaient d’un seul coup, comme cassés net. La chaleur, qui semblait avoir augmenté, semblait — chaleur à l’état pur — toute froide. Les volets intérieurs de la fenêtre, juste entrouverts, laissaient entrevoir par cette fente étroite l’attitude, d’expectative exagérée, du seul arbre visible. Il était d’un vert différent, imbibé de silence, comme sa couleur. Dans l’atmosphère se fermaient des pétales. Et dans la composition même de l’espace, une corrélation différente, entre des choses analogues à des plans, avait modifié et brisé la façon dont les sons, les lumières et les couleurs utilisent l’étendue.

Une terne rafale d’un soleil trouble a brûlé dans mon regard la sensation physique de regarder… Un jaune de chaleur a stagné dans le vert-noir des arbres. Torpeur (…) Le glaive d’un éclair blafard a voltigé obscurément dans la vaste pièce. Et le son attendu, gorgée longuement retenue, a explosé en migrant vers les profondeurs. Le bruit de la pluie a éclaté en sanglots, comme des pleureuses dans l’intervalle des phrases. Des sons légers se sont détachés plus nettement, inquiets, dans la maison.

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