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Possibilité de progrès – Frédéric Nietzsche

Possibilité de progrès – Frédéric Nietzsche

(Extrait)

Quand un savant de culture ancienne jure de ne plus fréquenter des hommes qui croient au progrès, il a raison. Car la culture ancienne a derrière elle sa grandeur et son bien et l’éducation historique contraint l’individu à confesser que jamais elle ne reprendra sa fraîcheur ; il faut une hébétude d’esprit intolérable ou bien un insupportable parti-pris pour le nier. Mais les hommes peuvent décider en toute conscience de se développer dorénavant pour une culture nouvelle, tandis qu’auparavant c’est inconsciemment et au hasard qu’ils se développaient : ils peuvent maintenant créer des conditions meilleures pour la production des hommes, leur alimentation, leur éducation, leur instruction, organiser économiquement l’ensemble de la terre, peser et ordonner les forces des hommes en général les unes à l’égard des autres. Cette nouvelle culture consciente tue l’ancienne, qui, considérée dans son ensemble, a mené une vie inconsciente de bête et de végétal ; elle tue aussi la défiance envers le progrès, — il est possible. Je veux dire : c’est un jugement précipité et dénué presque de sens, de croire que le progrès doive nécessairement réussir ; mais comment pourrait-on nier qu’il soit possible ? Au contraire, un progrès dans le sens et par la route de la culture ancienne n’est même pas concevable. La fantaisie romantique a beau toujours employer le mot « progrès », en parlant de ses fins (p. ex. des civilisations des peuples originales et déterminées) : en tout cas elle en emprunte l’image au passé ; sa pensée et sa conception sont dans ce domaine sans aucune originalité.

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