Nous occupions le bungalow du milieu – Charles Bukowski
Miriam et moi, nous occupions le bungalow du milieu, plutôt agréable, d’autant que j’avais planté sur le devant un rang de pois de senteur, ainsi que des tulipes tout autour. le loyer était plus que raisonnable, et personne ne criait après les ivrognes. quand on voulait payer le proprio, il fallait se lever matin, et si vous étiez en retard d’une semaine, voire de deux, il se contentait de grommeler : « pas grave. » c’était un vendeur de voitures d’occasion, et avec son garage il avait tout le fric qu’il lui fallait. « simplement, disait-il, ne donnez rien à ma femme, elle se biturerait, et comme j’essaie de la freiner…»
à bien y réfléchir, c’était le bon temps. Miriam avait un boulot. dactylo dans une grosse fabrique de meubles. sauf que, pour cause de gueule de bois, j’étais incapable, le matin, de la déposer à l’arrêt de bus où, en revanche, le chien et moi, on allait toujours l’attendre à son retour. comme elle ne savait pas faire démarrer notre voiture, j’en avais la libre disposition. me réveillant aux alentours de 10 h 30, je prenais d’abord le temps de me remettre les yeux en face des trous avant de m’occuper des fleurs, de boire un café, suivi d’une bière. ensuite, je sortais m’aérer, histoire de pouvoir me caresser le bide au soleil, pour autant, je ne négligeais pas de jouer aussi avec le chien, une sorte de monstre, qui me dominait largement. lorsqu’on tirait la langue, l’un et l’autre, on se rentrait, et alors, mais sans forcer, je mettais un peu d’ordre dans la turne, je refaisais le lit, ramassais les bouteilles, lavais la vaisselle ; puis, je m’enfilais une autre bière tout en vérifiant s’il y avait dans le frigo de quoi préparer le dîner de ma salariée. après quoi, je grimpais dans la voiture, contact, et en route pour le champ de courses. il n’empêche que j’étais toujours à l’heure lorsqu’elle descendait de son bus. eh oui, je tenais le bon bout et, pour n’avoir jamais profité des femmes, je découvrais combien il était agréable de se faire entretenir, même si ça ne se comparait pas à Monte-Carlo et même si, en plus de la sauter, je devais m’occuper de la vaisselle et de diverses autres tâches dégradantes.
au fond de moi, j’avais cependant l’intuition que pareille situation ne s’éterniserait pas, mais en attendant je me sentais mieux, je présentais mieux, je m’exprimais mieux, je marchais mieux, je m’asseyais mieux, je dormais mieux, je baisais mieux que je ne l’avais jamais fait. c’était l’éden, l’éden dans toute sa splendeur.
c’est alors que j’ai fait la connaissance de la voisine de devant, celle qui vivait dans la grande maison sur la rue. j’étais en train de me prélasser sur les marches du bungalow, sirotant une bière et lançant sa balle au chien, lorsqu’elle est sortie de chez elle et qu’elle a déployé sur sa pelouse ce grand drap pour y prendre un bain de soleil. elle était en bikini, à savoir deux petites bandes de rien du tout. « hello », ai-je fait. « hello », a-t-elle répliqué. elle a remis ça plusieurs jours de suite, sans qu’on s’en dise davantage. c’est que je me tenais à carreau. on était entourés de voisins, et Miriam les connaissait tous. mais cette femme, messieurs, avait un CORPS comme il arrive que la nature, dieu, ou n’importe qui d’autre, en créent en assemblant tout ce qu’il faut pour fabriquer un VRAI CORPS, le CORPS UNIQUE qui nous change de l’ordinaire. avouez-le, vous avez maté des tas d’anatomies, et chaque fois vous avez trouvé que les jambes étaient trop courtes ou trop longilignes, idem pour les bras, non ? et n’oubliez pas le cou, trop large, trop osseux, ou encore les hanches, trop rondes, trop étroites, et surtout le plus important – le cul. lequel, presque toujours inutilisable, est le sujet de nombre de frustrations : trop gras ou trop flasque, trop éléphantesque ou trop inconsistant, de sorte qu’il pendouille inévitablement au-dessus du vide comme un surplus de chair stérile, comme un élément qu’on aurait rajouté alors qu’il était presque trop tard.
or si le sexe a une âme, le cul en est sa meilleure expression.
et le cul de cette femme était à l’unisson du reste de son corps.
au fil des jours, je découvris qu’elle se prénommait Renie et qu’elle était stripteaseuse dans un de ces petits clubs qu’on trouve sur Western Avenue. d’ailleurs, son visage était typiquement L.A. : un masque de dureté, le masque de celle qui a roulé sa bosse. probable que du temps de sa prime jeunesse, les pleins aux as avaient dû, plus d’une fois, la piéger, lui mentir et la faire marron, et du coup elle se tenait sur la ligne : suce ta queue, mon frère, c’est mon tour de me fader.
or, un matin, ne voilà-t-il pas qu’elle me tient le discours suivant :
— si je ne prends plus mon bain de soleil sur la terrasse de devant, c’est à cause du vieux fils de pute qui habite la maison à côté de la mienne. j’ai dû me réfugier ici parce qu’il m’a pincée et qu’il a même essayé de me peloter.
— non, il a osé ?
— s’est pas gêné, ce vieux déchet ! À 70 balais, il a encore eu l’audace de me serrer de près. sous prétexte qu’il a du fric, mais pour ce que j’en ai à foutre ! rendez-vous compte, tous les jours, un merluchon lui amène sa propre épouse afin qu’il la saute. et ça dure jusqu’au soir, ils ne décarrent pas du pieu, où ils ne font que boire et baiser. ce n’est que lorsque la nuit tombe que le mari revient chercher sa légitime. ces deux-là sont persuadés que le vieux machin va claquer un de ces quatre en leur laissant tout le blé. les gens me dégoûtent. tenez, un autre exemple, là où je travaille, le pingouin qui possède la boîte, un rital adipeux du nom de Gregario, pas plus tard que l’autre semaine, il m’a pris à part : « trésor, qu’il me dit, quand on est avec moi, on l’est aussi bien sur scène que dans les coulisses. » à quoi je lui réponds : « écoute, George, je suis une Artiste. t’aimes pas ma façon de faire ? o.k., j’arrête ! » dans le quart d’heure suivant, j’appelle un de mes potes pour qu’il m’aide à embarquer tous mes accessoires de scène, mais à peine suis-je de retour chez moi que le téléphone sonne. Gregario en personne : « je m’incline, ma belle, reviens vite. sans toi, la boîte est un cimetière. tout le monde te réclame. on t’attend, reviens, bébé. sache que je te respecte autant comme Artiste que comme Dame, vouais, t’es vraiment une grande dame ! »
— une bière vous dirait ? ai-je fait.
— c’est pas de refus.
je suis allé en chercher deux. Renie s’est installée sur les marches du perron et on a trinqué.
— et vous, vous faites quoi ? a-t-elle demandé.
— rien, en ce moment.
— je trouve votre copine sympa.
— mieux que ça, parfaite !
— et avant de ne rien faire, vous aviez un boulot ?
— merdique. je n’ai jamais eu que des boulots merdiques. autant ne pas en parler.
— en bavardant avec Miriam, j’ai appris que vous étiez peintre et aussi que vous écriviez. vous êtes un artiste, en somme.
— en de rares occasions, sinon, la plupart du temps, je ne suis rien.
— j’aimerais que vous voyiez mon numéro.
— c’est pas mon truc, les clubs.
— vous savez, il y a une scène dans ma chambre.
— non ?
— venez avec moi, je vais vous montrer.
après être passés par la porte de derrière, on s’est retrouvés dans sa chambre où elle m’a fait asseoir. elle ne m’avait pas menti, il y avait bien une espèce de scène à demi arrondie, avec des rideaux sur le côté. et le tout occupait la quasi-totalité de la pièce. elle m’a servi un whisky à l’eau, puis elle a disparu derrière les rideaux. comme je venais de tremper mes lèvres dans mon verre, les premières mesures de Massacre sur la Dixième Avenue ont éclaté. aussitôt les rideaux se sont entrouverts, et elle a fait son entrée. elle ne marchait pas, elle glissait.
avalant mon reste de whisky, je me suis dit qu’on ne me verrait pas ce jour-là sur le champ de courses.
l’effeuillage a commencé. pièce après pièce. elle se trémoussait sans perdre son sourire. ayant eu l’intelligence de me laisser la bouteille, je l’ai attrapée et m’en suis reversé un. à présent, elle ne portait plus qu’un string garni de perles, et il suffisait qu’elle les agite un peu pour que j’aie une vue plongeante sur sa boîte à magie. elle s’est remuée jusqu’au bout, jusqu’à la dernière note. c’était une bonne.
— bravo ! bravo ! ai-je crié en l’applaudissant.
elle n’a fait qu’un bond vers moi et s’est allumée une cigarette.
— franchement, ça vous a plu ?
— tiens donc ! je comprends enfin ce que Gregario voulait dire quand il a dit que vous aviez de la classe.
— ah, oui, et qu’est-ce qu’il a voulu dire ?
— vous m’autorisez d’abord un autre verre ?
— allez-y. et servez-m’en un par la même occasion.
— bon, eh bien la classe, c’est davantage une affaire de coup d’œil, de sensation, que de définition. il arrive que des hommes en aient, et même des animaux. ainsi il suffit qu’un trapéziste traverse la piste pour qu’on se dise qu’il a de la classe, rien qu’en le voyant marcher. c’est autant un truc interne qu’externe, encore que ce soit l’intérieur qui conditionne l’extérieur. il en va de même lorsque vous dansez, chez vous l’être commande le paraître.
— j’en suis moi-même un peu consciente. c’est pas qu’une question de sex-appeal, c’est de la transmission de pensée. avec mon corps, je chante… je m’exprime.
— j’en mettrais ma main au feu. d’ailleurs, je l’y ai mise.
— cela dit, de vous j’attends davantage, j’attends des critiques, des conseils, car je n’ai qu’un désir : m’améliorer. cette scène ici même n’a d’autre utilité que de me permettre de répéter à tout moment. allez-y franchement, parlez-moi de mon numéro.
— o.k., mais pour que je sois vraiment à l’aise, faut que j’en écluse quelques-uns.
— la bouteille est à vous.
elle a disparu derrière les rideaux pour en ressortir, quelques minutes plus tard, dans un nouveau costume de scène.
« lorsqu’une enfant de New York vous souhaite bonne nuit,
c’est que le jour se lève.
fais de beaux rêves, mon chéri. »
pour couvrir les paroles de la chanson, j’ai dû hausser le ton. et me la jouer grand metteur en scène, genre génie hollywoodien.
— NE SOURIEZ PAS QUAND VOUS ENTREZ EN SCÈNE. TROP VULGAIRE POUR LA GRANDE DAME QUE VOUS ÊTES. EN LEUR PERMETTANT DE VOUS CONTEMPLER, VOUS FAITES UN CADEAU AUX SPECTATEURS. SI DIEU AVAIT UN CON, VOUS SERIEZ DIEU, AVEC, CE QUI NE GÂTERAIT RIEN, UN SUPPLÉMENT D’ÂME. VOUS ÊTES L’IMAGE DE LA SAINTETÉ, VOUS ÊTES LA GRÂCE, FAITES EN SORTE QU’ILS NE L’IGNORENT PAS.
comme j’avais repéré ses tiges sur le lit, je me suis mis à fumer comme un pompier, mais sans lâcher la bouteille.
— VOUS Y ÊTES ! C’EST EXACTEMENT ÇA ! VOUS ÊTES SEULE DANS VOTRE CHAMBRE ! LE PUBLIC A DISPARU. TOUT CE QUE VOUS RÉCLAMEZ, C’EST DE L’AMOUR, DU SEXE ET DE L’ANGOISSE !
elle a commencé à se dévêtir.
— ET MAINTENANT, OUI, MAINTENANT, VOUS LANCEZ VOTRE MESSAGE. MAIS EN VOUS ÉLOIGNANT DU DEVANT DE LA SCÈNE, EN LE CHUINTANT, EN LE CHUCHOTANT PAR-DESSUS VOTRE ÉPAULE, SANS CHERCHER MIDI À QUATORZE HEURES. BALANCEZ CE QUI VOUS VIENT PAR LA TÊTE, STYLE « LES POMMES DE TERRE N’ONT QUE FAIRE DES OIGNONS DE MINUIT ».
— les pommes de terre n’ont que faire des oignons de minuit, a-t-elle repris.
— MAIS NON ! INVENTEZ, DITES QUELQUE CHOSE QUI N’APPARTIENNE QU’À VOUS.
— les chips, les chips pompent les noix ! a-t-elle alors lancé.
j’ai failli en perdre mon self-control. heureusement qu’il y avait le whisky.
— À PRÉSENT, ALLEZ-Y À FOND, DONNEZ TOUT ! ARRACHEZ-MOI CE FOUTU STRING ! DÉVOILEZ DONC LA FACE DE L’ÉTERNITÉ !
elle l’a fait, et c’est brusquement toute la pièce qui s’est embrasée.
— ET ALORS LÀ, COMME SI VOUS ÉTIEZ EN TRAIN DE PERDRE LA TÊTE, ACCÉLÉREZ LE MOUVEMENT. VITE, PLUS VITE ! ALLEZ, LÂCHEZ TOUT !
elle n’a pas hésité une seconde. j’en suis resté bouche bée jusqu’au moment où mon mégot m’a brûlé les doigts.
— whaooouh, ai-je gémi.
elle en a rougi.
— RESTE PLUS QU’À ESTOQUER ! AMENEZ-VOUS VERS MOI LENTEMENT, TRÈS LENTEMENT ! ENCORE PLUS LENTEMENT ! C’EST TOUTE L’ARMÉE TURQUE QUI VA VOUS EMPALER ! ENCORE PLUS PRÈS, MAIS EN DOUCEUR, Ô, PUTAIN DE DIEU !
j’ai pris mon élan pour lui sauter dessus, mais à cet instant précis elle n’a pas trouvé mieux que de me rebalancer : « les chips, les chips pompent les noix. »
le yatagan est retombé dans son fourreau, tout juste si j’ai pu me resservir à boire. aussitôt après, j’ai pris congé d’elle et, une fois dans mon bungalow, je me suis douché, rasé, et j’ai fait la vaisselle, puis, accompagné du chien, j’ai foncé jusqu’à l’arrêt d’autobus.
Miriam était pompée.
— quelle journée ! a-t-elle soupiré. une des intérimaires a balancé de l’huile dans les machines à écrire. on a dû tout arrêter. et appeler le dépanneur. « quelle est la louftingue qui a salopé le matériel, hein ? », qu’il n’a cessé de nous gueuler aux oreilles. ensuite, pour rattraper le temps perdu, Conners ne nous a plus lâchées, on n’a fait qu’aligner des factures. aussi, d’avoir tapé sans arrêt sur ces damnées touches, j’en ai les doigts tout engourdis.
— t’es quand même la plus belle, mon chou, après un bon bain chaud et quelques verres, tu péteras le feu. y a des frites dans le micro-ondes, plus des steaks surgelés à la tomate. et j’ai fait réchauffer du pain français à l’ail.
— putain, ce que je suis crevée !
elle s’est laissée tomber dans un fauteuil, puis elle s’est débarrassée de ses chaussures. quand je lui ai apporté son verre, elle a jeté un œil vers la fenêtre et s’est exclamée :
— ce que ces pois de senteur sont magnifiques dans le soleil couchant !
c’était vraiment une chic fille qui sortait tout droit de son Nouveau-Mexique.
par la suite, j’ai revu quelquefois Renie, mais plus jamais je n’ai ressenti à son contact ce que j’avais éprouvé lors de son exhibition, et d’ailleurs je ne l’ai pas baisée. primo, parce que j’ai rapporté toute mon attention sur Miriam, et secundo, parce qu’à force d’insister sur ses talents d’Artiste et ses qualités de grande dame, on a fini, elle et moi, par se convaincre mutuellement que telle était la réalité. passer à l’acte aurait donc foutu en l’air la relation objective qui unit l’artiste à son critique, et nous aurait ramenés à la sordide équation : mettre ou se faire mettre. qui plus est, en restant en l’état, les choses ne manquaient ni de piquant, ni d’étrangeté. aussi n’est-ce pas Renie qui m’a mis dans la merde, mais notre petite voisine, le boudin qu’était mariée avec le mécano de la maison du fond. un jour, vers les 10 heures du matin, elle s’est amenée pour m’emprunter du café, ou du sucre, mais comme elle ne portait qu’une robe de chambre parfaitement indiscrète – ou quelque chose d’approchant –, elle m’a lâché ses nibards direct sous les yeux quand elle s’est penchée pour remplir sa tasse avec dieu sait quoi.
l’obscénité, à l’état brut ! elle en a elle-même rougi en se redressant. n’empêche que je me suis mis à bouillir, comme si on m’avait plongé dans un réacteur d’énergie atomique. moyennant quoi, on a commencé à se rouler des pelles tandis que son époux devait, lui, rouler en râlant sous une voiture et serrer un écrou avec sa clé anglaise graisseuse, alors que, moi, je serrais contre moi sa petite motte de beurre. on a fini par échouer dans ma chambre, et ça n’a pas été triste. ensuite, quand elle s’est lavée dans la salle de bains qui portait la marque de Miriam, je me suis senti tout bizarre. puis, elle a décampé sans qu’on ait échangé un seul mot depuis le moment où elle avait franchi la porte pour me réclamer un peu de quelque chose, sans doute un peu beaucoup de moi.
j’ai pris mon élan pour lui sauter dessus, mais à cet instant précis elle n’a pas trouvé mieux que de me rebalancer : « les chips, les chips pompent les noix. »
le yatagan est retombé dans son fourreau, tout juste si j’ai pu me resservir à boire. aussitôt après, j’ai pris congé d’elle et, une fois dans mon bungalow, je me suis douché, rasé, et j’ai fait la vaisselle, puis, accompagné du chien, j’ai foncé jusqu’à l’arrêt d’autobus.
Miriam était pompée.
— quelle journée ! a-t-elle soupiré. une des intérimaires a balancé de l’huile dans les machines à écrire. on a dû tout arrêter. et appeler le dépanneur. « quelle est la louftingue qui a salopé le matériel, hein ? », qu’il n’a cessé de nous gueuler aux oreilles. ensuite, pour rattraper le temps perdu, Conners ne nous a plus lâchées, on n’a fait qu’aligner des factures. aussi, d’avoir tapé sans arrêt sur ces damnées touches, j’en ai les doigts tout engourdis.
— t’es quand même la plus belle, mon chou, après un bon bain chaud et quelques verres, tu péteras le feu. y a des frites dans le micro-ondes, plus des steaks surgelés à la tomate. et j’ai fait réchauffer du pain français à l’ail.
— putain, ce que je suis crevée !
elle s’est laissée tomber dans un fauteuil, puis elle s’est débarrassée de ses chaussures. quand je lui ai apporté son verre, elle a jeté un œil vers la fenêtre et s’est exclamée :
— ce que ces pois de senteur sont magnifiques dans le soleil couchant !
c’était vraiment une chic fille qui sortait tout droit de son Nouveau-Mexique.
par la suite, j’ai revu quelquefois Renie, mais plus jamais je n’ai ressenti à son contact ce que j’avais éprouvé lors de son exhibition, et d’ailleurs je ne l’ai pas baisée. primo, parce que j’ai rapporté toute mon attention sur Miriam, et secundo, parce qu’à force d’insister sur ses talents d’Artiste et ses qualités de grande dame, on a fini, elle et moi, par se convaincre mutuellement que telle était la réalité. passer à l’acte aurait donc foutu en l’air la relation objective qui unit l’artiste à son critique, et nous aurait ramenés à la sordide équation : mettre ou se faire mettre. qui plus est, en restant en l’état, les choses ne manquaient ni de piquant, ni d’étrangeté. aussi n’est-ce pas Renie qui m’a mis dans la merde, mais notre petite voisine, le boudin qu’était mariée avec le mécano de la maison du fond. un jour, vers les 10 heures du matin, elle s’est amenée pour m’emprunter du café, ou du sucre, mais comme elle ne portait qu’une robe de chambre parfaitement indiscrète – ou quelque chose d’approchant –, elle m’a lâché ses nibards direct sous les yeux quand elle s’est penchée pour remplir sa tasse avec dieu sait quoi.
l’obscénité, à l’état brut ! elle en a elle-même rougi en se redressant. n’empêche que je me suis mis à bouillir, comme si on m’avait plongé dans un réacteur d’énergie atomique. moyennant quoi, on a commencé à se rouler des pelles tandis que son époux devait, lui, rouler en râlant sous une voiture et serrer un écrou avec sa clé anglaise graisseuse, alors que, moi, je serrais contre moi sa petite motte de beurre. on a fini par échouer dans ma chambre, et ça n’a pas été triste. ensuite, quand elle s’est lavée dans la salle de bains qui portait la marque de Miriam, je me suis senti tout bizarre. puis, elle a décampé sans qu’on ait échangé un seul mot depuis le moment où elle avait franchi la porte pour me réclamer un peu de quelque chose, sans doute un peu beaucoup de moi.
trois jours et trois nuits plus tard, comme on prenait un verre, Miriam a grimacé :
— on m’a dit que tu avais baisé la gravosse de la maison du fond.
— elle n’est pas si grosse que ça !
— admettons. le problème, c’est que ce genre de choses, je ne peux pas l’accepter, surtout pas quand je me tue au travail. conclusion : nous deux, c’est fini.
— je peux encore rester cette nuit ?
— pas question.
— mais j’ai nulle part où aller.
— va brûler en enfer !
— après tout ce temps ensemble ?
— eh oui, après tout ce temps ensemble !
j’ai bien essayé de la raisonner, mais sans succès. au contraire, ça n’a fait qu’empirer.
il m’a donc fallu faire mes paquets, quoique, pour ne posséder que quelques nippes, ma petite valise en carton a largement suffi. et comme, coup de bol, j’avais encore un peu de fric devant moi, je me suis déniché un deux-pièces ni trop triste, ni trop cher, sur Kingsley Drive. reste que plus j’y réfléchissais et moins je comprenais comment Miriam avait pu découvrir le pot aux roses alors qu’elle n’avait vu que du bleu avec Renie. ce ne fut qu’en reprenant tout à zéro que j’ai enfin pigé. toutes les trois, elles se connaissaient. et toutes les trois, elles entretenaient des relations, fondées aussi bien sur la confidence que sur le non dit, qui nous échappent, à nous les mâles. c’était strictement une affaire d’affinités féminines. en y ajoutant les ragots, le pauvre homme que j’étais n’avait pu l’avoir que dans le baba.
dans les mois qui suivirent, lorsque j’empruntais Western Avenue, il m’arrivait de marquer un arrêt devant le club où se produisait Renie Fox. mais elle n’en était plus la vedette. c’était une autre qui tenait le haut de l’affiche. Renie ne venait qu’en dessous avec le restant de la troupe. je ne suis jamais descendu de voiture.
quant à Miriam, c’est devant un Trifty Drugstore que je l’ai revue pour la dernière fois. le chien était avec elle. il m’a aussitôt sauté dessus et, avant de l’écarter, je l’ai longuement caressé :
— il y a au moins un être à qui je manque, ai-je dit.
— c’est si vrai qu’un soir je me suis décidée à te l’amener pour qu’il te voie mais, lorsque j’ai entendu cette pute qui gloussait derrière la porte, je n’ai pas pu appuyer sur la sonnette. je m’en serais voulu de te casser ton coup, aussi on est repartis.
— t’as dû rêver ! il n’y a jamais personne chez moi…
— je n’ai pas rêvé.
— ça te dirait pas que je passe un soir ?
— impossible. y a un nouveau mec dans ma vie, et un mec bien. un qui a un bon job. tu me suis ? lui, il bosse. le TRAVAIL ne lui fait pas peur !
là-dessus, en tortillant des fesses, elle et le chien sont sortis de ma vie et de mes frayeurs. le regard dans le vide, je me suis figé sur place. perdu dans ma solitude. au carrefour, le feu était vert. j’ai attendu qu’il passe au rouge pour traverser cette rue qui ne m’aimait pas.