Notre soleil – Georges Séféris
Ce soleil était le mien et le tien, nous l’avons partagé.
Qui souffre derrière la tenture de soie d’or, qui est en train de mourir ?
Une femme frappait ses seins asséchés criant « Lâches !
ils ont pris mes enfants et les ont déchirés en lambeaux,
vous les avez tués
en regardant au soir les lucioles d’un drôle d’air,
perdus en pensées aveugles »
Le sang séchait sur une main qu’un arbre rendait verte
un guerrier était endormi serrant sa lance qui jetait de la lumière contre lui.
Il a été le nôtre, ce soleil, on ne voyait rien derrière l’or des broderies
puis sont venus les messagers, sales et hors d’haleine,
Bégayant des mots incompréhensibles ;
Vingt jours et nuits sur la terre aride ne portant qu’épines
vingt jours et nuits à toucher le ventre saignant, saignant des chevaux. et pas un moment de pause et boire de l’eau de pluie.
Tu leur as dit de se reposer d’abord et de ne parler qu’ensuite, la lumière t’avait éblouie
Ils sont morts en disant « Nous n’avons pas le temps », en touchant certains rayons du soleil.
Tu voulais oublier que nul jamais ne se repose.
Une femme hurlait « Lâches ! » comme un chien dans la nuit.
elle avait dû être belle autrefois, comme toi
avec la bouche humide, les veines vivantes sous la peau,
et l’amour.
Ce soleil était le mien et le tien, tu l’as gardé pour toi seule tout entier.
tu n’as pas voulu me suivre.
Tout cela je l’ai constaté derrière l’or et la soie de la tenture.
Nous n’avons pas le temps. Les messagers avaient raison.