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Nostalgie ardente – Gertrud Kolmar

Nostalgie ardente – Gertrud Kolmar

je pense à toi,
toujours je pense à toi.
Les hommes me parlent, je n’y prête pas attention.
Dans le ciel du soir je voyais des bleus chinois, profonds, dans lesquels
pendait la lune ronde et jaune comme une lanterne,
et je voyais une autre lune, la tienne, si proche,
qui te faisais un bouclier étincelant, sans doute un héros ionique
ou un disque doux et doré lancé par un sublime discobole.

Dans le recoin de la pièce j’étais assise sans la moindre lampe,
fatiguée du jour, voilée, tout entière vouée aux ténèbres,
les mains gisaient dans le giron, yeux se fermant d’eux-mêmes.
Mais sur le mur intérieur de mes paupières ton image petite et floue était peinte.

Sous les étoiles je pénétrais dans les jardins silencieux, passant devant déchirures d’ombre des mâchoires, bicoques aplaties et rendues muettes,
des pignons raides
sous des manteaux moelleux et sombres, puis de temps à autre des crissements des roues qui vous saisissent, cris des chouettes qui vous tiraillent,
et je parlais de toi en me taisant, amour, au chien muet, blanc, aux yeux d’amande, qui j’accompagnais.

Engloutie dans les mers éternelles des nuits noyées !

Alors ma main dans le duvet de ta poitrine, elle mendiait le sommeil,
alors nos souffles se mêlaient à des vins précieux, que nous offrions dans un bol de quartz rose à notre maîtresse, l’amour,
Alors dans les montagnes des ténèbres nos glandes poussaient et mûrissaient,
fruits du vide des montagnes de cristal et améthystes lilas.
alors la tendresse de nos bras, tulipes de feu nous appelait
hyacinthes bleu porcelaine ondulantes, élargies
dans les glaises couleurs matin gris,
alors jouant sur des tiges blessées, le bourgeon mi-clos du pavot
comme une vipère rouge sang sifflant au-dessus de nous,
d’orient les arbres de basalm et de zimet se dressent en tremblantes tonnelles sur nos lits
et des pinsons de tisserand s’enfuyaient de l’haleine de nos bouches, nids flottants. –

Quand volerons-nous à nouveau dans les mystérieuses forêts,
qui impénétrables protègent des poursuivants cerfs et biches ?
Quand pour tes mains affamées et suppliantes mon corps sera-t-il ton pain blanc et odorant,
quand ma bouche sera-t-elle douce comme un fruit épanoui pour tes lèvres assoiffées ?
Quand nous rencontrerons-nous à nouveau ?

Les mots intimes répandus comme semence d’estragon et tournesols
et enfin ravis, devenus muets, pour seulement entendre
la source chantante de notre sang ?

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