Message d’adieu – Stefan Zweig
Petropolis, 22 février 1942
Avant de prendre congé de la vie de mon propre gré et l’esprit clair, je ressens le besoin d’accomplir un dernier devoir : remercier sincèrement ce merveilleux pays qu’est le Brésil, qui nous a accordé à moi et mon travail une trêve si généreuse et hospitalière. Chaque jour, j’ai appris à aimer davantage ce pays, et nulle part plus qu’ici je n’aurais aimé rebâtir ma vie entièrement après que le monde de ma propre langue a disparu pour moi et que la patrie de mon esprit, l’Europe, s’est détruite elle-même.
Mais après soixante ans, il faut des forces particulières pour recommencer entièrement une fois de plus. Et les miennes sont épuisées par ces longues années d’errance sans patrie. J’estime donc préférable de mettre fin à temps et debout à une vie dans laquelle le travail de l’esprit a toujours été le bonheur le plus pur, et la liberté personnelle le bien suprême sur cette terre.
Je salue tous mes amis ! Puissent-ils voir encore l’aurore après la longue nuit ! Moi qui suis trop impatient, je m’en vais avant eux.