L’ours blanc – Erik Orsenna
Quand l’air sera si chaud que le feu perpétuel gagnera les forêts
Quand l’air sera si chaud que les déserts mangeront les plaines, que la haine embrasera les coeurs
Quand l’air sera si chaud que la mer avalera les rivages il nous restera ça.
Un ours blanc accroupi sur le dernier glaçon,
Un fou de bassan cherchant de la fraîcheur sous une cascade,
Une maman touchant la joue d’un nouveau né
Un sauna au pole nord, des cocotiers au pole sud
Des déambulateurs, des troisièmes âges courant les alizées
Des voyageurs vingt mille lieues sous l’Atlantique
Un phoque racontant ses souvenirs de banquise
Les baleines qui s’essoufflent, les taupes qui renâclent
Les glaces Hagen Dasz devenues daube ou risotto, to, to
Les téléviseurs fondus par le soleil
Des montres molles du temps qui coule
Des amoureuses qui veulent toujours, toujours, toujours
Des amoureux qui n’en peuvent plus, plus, plupluplu, ne, peuvent plus
Des pages, toutes ces pages collées par la sueur
Des livres, tous les livres les ultimes refuges de l’ombre
Et puis Rimbaud, et puis Léopardi
Et puis toi attendant contre moi la nuit même si elle brûle plus que le jour.