Liberté ! – Nérée Beauchemin
Liberté ! liberté ! nos solides ancêtres,
Corps à corps, front à front, avec leurs âpres maîtres,
Au club, au parlement, au meeting, au forum,
Bien longtemps ont lutté pour ton blanc labarum.
Sans halte, obstinément, l’éloquence virile
Redoublait les assauts d’une lutte stérile :
La Chambre flagellait le pouvoir exécré,
Et toujours le pouvoir gouvernait à son gré.
Très beau, très fier, très grand, dominant la tempête
Qu’un despote haineux déchaîne sur sa tête,
Papineau, noble aïeul du tribun souverain,
Fait vibrer les éclats de son verbe d’airain.
Loyal au Roi, mais fier devant l’absolutisme,
Magnifique d’orgueil et de patriotisme,
Canadien que nul Anglais n’a fait plier,
Irréductible, franc et fort comme l’acier,
Il parle, et dans sa brève et robuste harangue
Éclate la vigueur d’une invincible langue.
Brillante élite, autour du jouteur sans égal,
Se groupent les soldats du droit national.
Aux rostres où la haine a déclamé sans honte,
Drapé dans sa fierté, grave, Taschereau monte.
Bédard se dresse. Il faut enchaîner ce vaillant
Qui crible de ses traits les Craig et les Ryland.
Mais la prison ne peut étouffer la parole :
C’est le flot qui bondit, c’est l’orage qui vole.
Nos rivages encore entendent retentir
La parole et les fers glorieux du martyr.
C’est en vain que le fouet sanglant de l’ironie
Accule au pied du mur l’hyène tyrannie,
Le monstre terrassé, bave aux dents, sang aux yeux,
Hurle encore sous les coups du fouet victorieux.
Des vieillards décrépits, malfaisants, sacrilèges,
Violent sans pudeur et lois et privilèges.
C’était un règne affreux qu’eût cinglé Juvénal :
Le ministre volait, et le juge vénal
Trafiquait du statut pour une vile somme ;
On graciait un riche, on pendait un pauvre homme ;
Partout la violence et l’illégalité,
L’arbitraire, l’astuce et la duplicité.
Au bon peuple qui peine et qui, très humble, prie,
On répond par l’insulte et par la moquerie,
Et l’on jette au panier, au mépris des vieux droits,
Les plis où les manants ont fait leurs grandes croix.
Le bon peuple se tut. Mais un homme, un génie,
Se lève et, défiant l’injure et l’avanie,
Au milieu d’un profond silence solennel,
Fait ouïr les accents d’un nouvel O’Connell.
Ce n’est pas ce rhéteur élégant qui débute
Sur le ton musical que lui donne la flûte ;
C’est un rude parleur, un franc logicien,
Qui dédaigne les vains apprêts de l’art ancien.
Sa parole n’est pas une lyre qui chante,
C’est un clairon qui jette à travers la tourmente
Les farouches accords du dernier ralliement.
Nul orateur n’est plus fort, ni plus véhément.
Il parle, et le pays à sa voix pathétique
Tressaille, et du lointain, par delà l’Atlantique,
Aux appels chaleureux du jeune Washington,
Répond, comme un écho, le cœur des Warburton.
Nos tyranneaux jaloux, sourds à toute éloquence,
Redoublent de fureur, de morgue, d’arrogance.
On vole ; on pille ; on pousse à bout ces braves gens,
Ces paisibles et doux ruraux intransigeants ;
Et l’on jette la fange et l’on crache l’insulte
À la race, à la langue, à la bannière, au culte.
On s’arroge les droits de la majorité.
Et les belligérants de la légalité
Protestent vainement. Pour appuyer le vote,
Il faut que le fusil du pauvre Patriote
Se mêle au grave et vaste orage des débats.
Le vieux mousquet français fit si bien, que là-bas
On l’entendit. Ce fut bref, mais hardi. La poudre,
Aux oreilles du maître, à l’égal de la foudre,
Retentit, et le maître en fut tout étonné.
Il comprit. Le rappel des tyrans fut signé.
Des parchemins scellés du grand sceau britannique
Annulèrent bientôt l’ukase tyrannique.
Albion révoqua le révoltant édit.
Voilà pourquoi le trône anglais n’est plus maudit.
Qu’ai-je dit ? N’éveillons pas la haine endormie,
Nous jouissons en paix de notre autonomie ;
Notre race n’est plus la race paria ;
Le peuple est maître, c’est assez. Victoria,
Aux esprits assagis que son sceptre nivelle,
Impose le respect d’une charte nouvelle,
Et fait planer sur tous l’égale autorité
De sa très douce et très sereine majesté.
L’heure est à nous. L’érable, exubérant de sève,
Au terroir fortement enraciné, s’élève,
Déployant en plein ciel, entre deux océans,
L’éclatante vigueur de ses rameaux géants.
L’heure est à nous. Québec, la province féconde,
Voit déborder sur tous les points du nouveau monde,
Comme une mer, les flots calmes et triomphants
De ses laborieux et robustes enfants.
Le bon peuple respire, et sa poitrine vibre
Au souffle frais qui court dans l’air joyeux et libre :
Le sang monte plus calme au front du travailleur.
Dans le ciel éclairci brille un soleil meilleur.
Le grand combat est clos, la bataille est finie,
Et les lutteurs d’hier vivent en harmonie.
Honte à ceux dont les cris de rage osent encore
Troubler ce sympathique et généreux accord.
C’est la trêve. C’est l’ordre. Aux angles de la poutre
Nous avons accroché le mousquet. Et le coutre,
Au pas égal et lent des chevaux et des bœufs,
Sillonne en paix la friche et les guérets herbeux.
Et tandis que, là-bas, les moissonneurs superbes,
Dans leurs grands chars criant sous la charge des gerbes,
S’en vont, rieurs et beaux, par groupes rassemblés,
Serrer les blonds trésors des seigles et des blés ;
Dans nos portes sur nos quais bordés de nos flottilles,
Le steamer de Glasgow, le voilier des Antilles,
Le lourd transatlantique et l’énorme trois-mâts
Déchargent les produits des plus lointains climats.
Une autre France règne aux rives de nos fleuves.
Dans tout ce beau pays de vertes terres neuves,
Où le fer et la flamme et la foudre ont passé,
Des lacs jusqu’aux confins du Labrador glacé,
Tout se transforme, tout grandit, tout évolue.
Divinité toujours bonne, je te salue.
Et vous, libérateurs des peuples prisonniers,
Frères de nos tribuns et de nos pionniers,
Ô prêtres dont le verbe éclaire et civilise,
Patriotes divins de la divine Église,
Vous par qui nous serons à tout jamais unis,
Soyez loués, soyez aimés, soyez bénis.
Et vous, Taché, Morin, Duvernay, Lafontaine,
Parent, Baldwin, Cartier, dont la pensée hautaine
Consolida la paix et scella l’union !
Sublimes artisans, qui fîtes nation
Le jeune petit peuple orgueilleux que nous sommes,
À jamais vénérés soyez-vous tous, grands hommes !
Votre légende est simple et vos titres sont brefs.
Vous fûtes, avant tout, des conducteurs, des chefs ;
Les bons, les dévoués, les lutteurs, les apôtres
Qui prodiguent leur âme et leur cœur pour les autres.
Que votre souvenir dure éternellement !
Pour les âges futurs, dressant un monument,
Ô généreux amis du Canada ! l’histoire
Vous groupe dans l’airain d’une commune gloire.
Vers la colline où dort ce grand peuple d’aïeux,
Dans l’amour et l’espoir sont tournés tous les yeux.
Largement déployé par la brise qui passe,
Là-haut, dans la lumière et dans l’immense espace,
Par ces illustres morts tour à tour défendu,
Ondule, ô Liberté, ton saint drapeau perdu.
Salut, immortels fils d’une immortelle époque !
Ancêtres, la jeunesse à plein cœur vous invoque !
Que nos chefs d’aujourd’hui marchent orientés
Par le rayonnement de vos blanches clartés !
Que nos historiens inscrivent dans nos fastes,
À côté des martyrs obscurs des jours néfastes,
En majuscules d’or, près des grands précurseurs,
Les noms, non moins brillants, de leurs fiers successeurs !
Salut, ô nobles temps anciens, cycle profond,
Inoubliables jours d’hier, âge fécond.
Vaste passé fertile et riche d’où découle
L’avenir qui déjà sous nos yeux se déroule :
Tel, gonflé de cent cours, ce fleuve au flot géant
Déroule son immense et tranquille océan.