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Les lignes de douleur – Léon Degrelle

Les lignes de douleur – Léon Degrelle

Il n’est pour ainsi dire pas de cœur que n’aient sali des vilenies, des actes sordides, des fautes lépreuses qui laissent flotter dans le regard des lueurs qui ne trompent pas.

Même les cœurs revenus des marais à la purification gardent toujours un goût amer d’imparfait et de cendres. On a pu réparer la porcelaine rare : toujours celui qui connut la chute reconnaîtra les lignes, si finement réparées soient-elles, de la rupture. Il sait que jamais ne reviendra l’unité invisible du parfait, celle dont il ne pensait même pas qu’elle pût mourir.

Plus on avance dans la vie, plus le cœur est marqué de ces lignes de douleur, imperceptibles pour tous ceux qui n’ont pas vu ou pas connu, mais déchirantes par tout ce qu’elles contiennent de délicatesse brisée, comme des soies fines qui se sont rompues avec des crissements.

Heureux encore ceux-là que des souffrances invisibles purifient !

Combien d’autres, revenus vaille que vaille du vice, s’acharnent à se convaincre que cet abaissement fut utile, pénétrés à jamais par cette tunique brûlante qui s’est refroidie sur leur peau et y colle, faite chair comme la chair corrompue, désormais confondue avec elle.

Quels yeux regarder sans trembler ?

Que cachent-ils ?

Qui n’a pas été vil un jour, qui ne porte pas en soi des mots, des gestes, des désirs, des abdications inavouables, ou le cadavre momifié de sa vie intérieure ?

Combien d’hommes, combien de femmes n’escamotent-ils pas à l’abri des conventions la faillite de leur sensibilité, de leurs serments et la profanation misérable de leur corps ? Avec des remords parfois. Sans remords la plupart du temps. Ou plutôt même avec un petit air de triomphe et d’insolente provocation.

Les chutes finales, celles qui ont tout liquidé, la décence, la pudeur, le respect de soi, de son corps, de sa parole, et Dieu avec le reste, ne sont que le résultat de centaines de petits reniements préalables, niés ou camouflés au début.

L’ensemble ne s’abat que lorsque les fibres innombrables du cœur ont été cisaillées l’une après l’autre, parmi les subterfuges, les mauvaises raisons, suivis de multiples abandons de plus en plus irrémédiables, avec la conscience assassinée, au bout des débâcles…

La déchéance sourd secrètement dans la pensée avant de se répandre dans tout l’être.

Le corps ne cède, ne se laisse salir, engluer, puis souiller à mort que bien après que l’âme, négligente ou grisée par les appels troubles, ait laissé aller au fil de l’eau les rames qui traçaient, au début, des routes droites sur les eaux pures.

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