Les derniers courants – Guillain Méjane
Nord
Les derniers courants les ont déposés sur les berges grises, somnolents de froid. Au cœur d’un fjord, hors des cartes. Par un matin de fin d’été, ils se sont réveillés sans rien de leur vie précédente.
Ils ont tout désappris pendant leur sommeil, ne leur reste que le langage, des souvenirs mélangés qui ne leur appartiennent pas et le désir de tout.
Est
D’autres atteignent les bords de mers intérieures, les plus salées. L’une d’elles est presque morte. Des pans de ruines s’éclairent dans le dernier soleil, posées sur les flancs de falaises lacérées de rouille. À l’arrière, des vallées fertiles.
Des inscriptions illisibles jalonnent des routes déjà empruntées. Dans des niches, des fleurs séchées, des tessons. Ils ne savent plus rien et s’interrogent.
Ouest
Épuisés, protégés des embruns par des carcasses de tôles, ils ressemblent à des ombres. Certains se sont dissipés dans les gouffres dont ils ne voyaient pas la fin. Plus loin, des îles perdues, quelques îles de passage.
Ils ont cherché des monstres pour les adorer. Et n’ont pas voulu croire aux esprits simples.
Sud
Ont-ils cru au mythe des lumières vivantes ? Ils ont emmené leurs enfants vers l’équateur, à l’abri du temps. Certains se sont arrêtés dans le désert, pour y faire une vieille civilisation. On se souvient d’eux, mais on a oublié leurs noms.
Les autres ont imaginé de nouvelles routes, vers les sources des grands fleuves. Ils s’y sont faits des mondes.