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Le temps des Noëls – Léon Degrelle

Le temps des Noëls – Léon Degrelle

Nous n’étions que des petits enfants ardennais.

La neige fermait l’horizon, encapuchonnait la crête des toits et se collait en paquets de plus en plus épais sous nos sabots.

Nous étions sûrs d’avoir vu Saint Joseph tourner au coin de la Rue du Moulin. La côte de l’église était rude à monter, à minuit. On nous avait permis de tenir nos sabots à la main au dernier raidillon. Puis nous étions passés brusquement de la nuit aux fléchettes glacées, dans l’odeur chaude des nefs éclatantes.

La tête nous tournait un peu.

L’encens nous saoulait.

Le Doyen lui-même était pâle.

Mais le jubé faisait un vacarme à écarter les sangliers à dix kilomètres de nos grands bois touffus.

Le souffleur de l’orgue pédalait comme s’il craignait d’arriver en retard.

L’instituteur entraînait la chorale dans des tourbillons.

Au moment du « Minuit, Chrétiens », l’émotion et le fracas avaient été tels que nous étions grimpés sur la paille des chaises, nous attendant à ce que, tout d’un coup, les anges dévalassent au-dessus du chœur.

Mais les anges avaient continué à stationner sagement parmi les bougies, avec leurs grandes ailes au repos.

Nous nous étions approchés d’eux, une petite pièce de deux sous nos gros gants de laine. Nous nous étions mis à genoux sur le marbre. Le bœuf brun et l’âne gris se trouvaient tout près de nous. Et nous brûlions de les toucher pour voir si leur poil frémirait comme à la fontaine.

Mais les enfants aimaient encore mieux les enfants que les bêtes. Jésus était étendu sur la paille. Nos cœurs s’attendrissaient en pensant qu’il devait avoir bien froid. Personne ne lui avait donné comme à nous de gros bas. Ni de sabots. Ni d’écharpe pour cacher son nez. Ni de gants de laine verte pour couvrir ses gerçures. Cela nous pinçait le cœur très fort. Nous regardions un peu étonnés le papa Saint Joseph qui ne faisait rien pour qu’on le distinguât, et la Maman bleue et blanche, tellement immobile et si belle…

Nous ne connaissions que des mamans belles avec des yeux purs où l’on pouvait tout regarder. Nous avions tant regardé ces yeux-là… Mais ceux de la Maman du Petit Jésus nous ravissaient à l’extrême, comme si le Ciel faisait voir aux enfants plus que ne voient les hommes…

Nous ne disions rien en redescendant la côte.

Quand les enfants ne disent rien, c’est qu’ils ont tant de choses à dire…

Le chocolat qui fume, la grande table couverte de gâteaux, à la maison, ne sont jamais parvenus à nous arracher, au retour, aux conversations invisibles qui s’étaient nouées d’enfants de mamans humaines au petit garçon de la Maman du Ciel. En haut du piano, une autre crèche avait été dressée où nous pouvions, debout sur le tabouret, prendre dans nos mains le bœuf et l’âne.
On allumait chaque soir de toutes petites bougies roses et bleues. Chacun avait la sienne, sur laquelle il soufflerait un grand coup à la fin des prières. Derrière, à genoux près d’une chaise, dans le noir, la maman dirigeait nos élans religieux, nous guidait.

Quand tout était fini, lorsque nous nous retournions vers elle afin d’obtenir le droit d’éteindre nos mignons luminaires, nous voyions dans ses deux yeux briller tant de ferveur émue… Le Paradis vient dans le cœur des enfants lorsque c’est la maman qui le porte…

A cette heure-là, humble et poignante la maman savait que des petites âmes avaient été marquées pour toujours, que l’on pourrait souffler sur les petites bougies allumées dans nos cœurs près de la crèche, qu’on ne les éteindrait jamais.

Et chaque hiver, quand revient Noël, les petites flammes allumées par nos mères remontent toutes droites et crépitent.

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