Le peuple, son nom, sa gloire, sa force, sa voix, sa vertu, son repos – Gérard de Nerval
Son nom
Ô vous qui célébrez tous les pouvoirs, ainsi
Que le canon des Invalides,
Et qui pendant la lutte aussi
N’êtes jamais plus homicides :
Les temps sont accomplis, le sort s’est déclaré,
Des Francs sous les Gaulois l’orgueil enfin s’abaisse ;
Le coq du peuple a dévoré
Les fleurs de lis de la noblesse ;
Maintenant paraissez : à la tête des rangs
Cherchez quelques héros à proclamer très grands !
Mais, entre tous les noms que le siècle répète,
Un seul reste à chanter… Cherchez !… encore un nom
Plus noble qu’Orléans, plus beau que La Fayette
Et plus grand que Napoléon !
Sa gloire
Le Peuple : – Trop longtemps on n’a vu dans l’histoire
Pour l’œuvre des sujets que des rois admirés.
Les arts dédaignaient une gloire
Qui n’avait pas d’habits dorés ;
A la cour seule était l’éclat et le courage,
Et le bon goût et le vrai beau ;
Les habits déchirés du peuple et son langage
Faisaient rougir la muse et souillaient le pinceau :
Combien ce préjugé s’efface !
Nous avons vu le peuple et la cour face à face :
Elle, ameutant encore ses rouges bataillons ;
Lui, sous leur feu cruel, marchant aux Tuileries ;
Elle, tremblante et vile avec ses broderies :
Lui, sublime avec ses haillons !
Sa force
C’est que le peuple aussi, malheur à qui l’éveille,
Lorsque, paisible, il dort sur la foi des serments,
Il laisse bourdonner longtemps
La tyrannie à son oreille :
Il semble Gulliver environné de nains…
Voyez par des fils innombrables
Des milliers de petites mains
Fixer ses membres redoutables :
Il y montent joyeux, triomphants… le voilà
Bien lié !… Que faut-il pour briser tout cela ?
Qu’il se lève ! – Déjà de ses mains désarmées
Il lutte avec les forts où gît la trahison,
Et son pied en passant couche à bas les armées ;
Comme les crins d’une toison.
Sa voix
Et puis, victorieux, il jette un cri sublime,
Dont ceux qu’on a cru morts s’éveillent en sursaut,
Qui fouille au plus profond abîme,
Éclate au faîte le plus haut,
Un cri de liberté qui gronde et qui dévore,
Que frontières ni murs n’arrêtèrent jamais ;
Tonnerre au vol immense, à l’éclair tricolore,
Qui menace tous les sommets !
Cri, dont se fait l’écho toute poitrine libre,
Cri, qui des nations renverse l’équilibre ;
Oracle qu’en tous lieux et cultes et partis
Reconnaissent divin… et comprennent s’ils peuvent,
Et qui fait que les rois sur leurs trônes s’émeuvent,
Pour sentir s’ils sont bien assis !
Sa vertu
Je crois le voir encore, le peuple, aux Tuileries,
Alors que sous ses pieds tout le palais trembla !
Que de richesses étaient là !
Étincelantes pierreries,
Trône, manteau royal sur la terre jeté,
Colliers, habits, cordons oubliés dans la fuite,
Enfin tout ce qu’avait la famille proscrite
De grandeur et de majesté !
Eh bien ! de ces trésors rien pour lui qui le tente ;
De les fouler aux pieds sa fureur se contente ;
Et dans ce grand château d’où les valets ont fui,
Partout, sans rien détruire, il regarde, il pénètre ;
Montrant qu’il est le roi, montrant qu’il est le maître
Et que tout cela est à lui.
Son repos
Non, rien de ces trésors, qu’il voit avec surprise,
Ne le tente. Il confie à des princes nouveaux
Sa couronne qu’il a reprise
Et puis retourne à ses travaux.
Maintenant, courtisans de tout pouvoir qui règne,
Accourez, battez-vous, traînez-vous à genoux
Pour ces oripeaux qu’il dédaigne,
Et qui ne sont bons que pour vous ;
Mais lorsque des grandeurs vous atteindrez le faîte,
N’ayez point trop d’orgueil d’être assis sur sa tête,
Et craignez de peser sur lui trop lourdement ;
Car tranquille au plus bas de l’immense édifice
Pour que tout au-dessus penche et se démolisse
Il ne lui faut qu’un mouvement.