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Le nombre – Frédéric Nietzsche

Le nombre – Frédéric Nietzsche

(Extrait)

La découverte des lois du nombre s’est faite en se fondant sur l’erreur déjà régnante à l’origine, qu’il y aurait plusieurs choses identiques (mais en fait il n’y a rien d’identique), au moins qu’il existerait des choses (mais il n’y a point de « choses »). Rien que la notion de pluralité suppose déjà qu’il y a quelque chose qui se présente à plusieurs reprises : mais c’est là justement que règne déjà l’erreur, alors déjà nous imaginons des êtres, des unités, qui n’ont pas d’existence. — Nos sensations de temps et d’espace sont fausses, car elles mènent, si on les examine avec conséquence, à des contradictions logiques. Dans toutes les affirmations scientifiques, nous comptons inévitablement toujours avec quelques grandeurs fausses ; mais comme ces grandeurs sont du moins constantes, par exemple notre sensation de temps et d’espace, les résultats de la science n’en acquièrent pas moins une exactitude et une sûreté complètes dans leurs relations mutuelles ; on peut continuer à tabler sur eux — jusqu’à cette fin dernière, où les suppositions fondamentales erronées, ces fautes constantes, entrent en contradiction avec les résultats, par exemple dans la théorie atomique. Alors nous nous trouvons toujours contraints à admettre une « chose » ou un « substrat » matériel, qui est mis en mouvement, tandis que toute la procédure scientifique a justement poursuivi la tâche de résoudre tout ce qui a l’aspect d’une chose (matière) en mouvements : nous séparons, ici encore, avec notre sensation le moteur et le mû et nous ne sortons pas de ce cercle, parce que la croyance à des choses est incorporée à notre être depuis l’antiquité. — Lorsque Kant dit : « La raison ne puise pas ses lois dans la nature, mais elle les lui prescrit », cela est pleinement vrai à l’égard du concept de la nature, lequel nous sommes forcés de lier à elle (nature = monde en tant que représentation, c’est-à-dire en tant qu’erreur), mais qui est la totalisation d’une foule d’erreurs de l’intelligence. — À un monde qui n’est pas notre représentation, les lois des nombres sont pleinement inapplicables : elles ne valent que dans le monde de l’homme.

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