Le lit d’où j’avais pensé l’univers – Fernando Pessoa
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Après que le déclin des astres eut blanchi pour s’évanouir en rien dans le firmament matinal, et que la brise fut devenue moins froide dans ce jaune, à peine orangé, de la lumière frappant quelques rares nuées, flottant plus bas — je pus enfin, alors que je n’avais pu dormir de la nuit, dresser lentement mon corps, épuisé de rien, du lit d’où j’avais pensé l’univers.
Je m’approchai de la fenêtre, les yeux brûlants de n’avoir pu se fermer. Sur les toits denses, la lumière mettait des nuances diverses de jaune pâle. Je contemplais tout cela, dans l’hébétude totale que donne le manque de sommeil. Sur les façades des maisons les plus hautes, le jaune se posait, aérien et nul. Au loin, du côté occidental que je regardais, l’horizon était déjà d’un blanc-vert.
Je sais que cette journée va être aussi assommante pour moi que de ne comprendre rien à rien. Je sais que tout ce que je vais faire aujourd’hui va participer, non pas de la fatigue due au sommeil, que je n’ai pas connu du tout, mais de l’insomnie que j’ai connue cette nuit. Je sais que je m’en vais vivre un somnambulisme plus accentué, plus épidermique, non seulement de n’avoir pas dormi, mais de n’avoir pu dormir.
Certains jours constituent à eux seuls une philosophie, toute une interprétation de la vie, et sont comme des notes marginales, pleines d’une critique amère, ponctuant le livre de notre destin universel. Je me trouve aujourd’hui dans l’un de ces jours-là. Il me semble, absurdement, que c’est avec ces paupières lourdes et ce cerveau anéanti — comme avec un crayon absurde — que vont être tracées les lettres de ce commentaire, aussi profond qu’inutile.