Sélectionner une page

le French Quarter à La Nouvelle-Orléans – Charles Bukowski

le French Quarter à La Nouvelle-Orléans – Charles Bukowski

le French Quarter à La Nouvelle-Orléans. depuis le trottoir d’en face j’observe un ivrogne qui sanglote, appuyé contre un mur, tandis qu’un Italien lui demande s’il est français et que l’autre lui répond que oui, il l’est, et qu’aussi sec l’Italien lui en allonge une, sévère, avant de lui écraser la tête contre le mur et de lui redemander : « t’es français alors ? », à quoi le franchouia rétorque que oui, résultat : le rital le refrappe, en ne cessant de lui hurler aux oreilles : « je suis ton copain, ton copain, j’essaie juste de t’aider. tu ne le comprends donc pas ? » mais dès que le Français l’approuve, l’italien le recogne. dans une voiture, un autre Italien se rase à la lueur d’une lampe électrique accrochée à son rétro intérieur. quelle vision étrange ! le visage recouvert de crème à raser, il se fait la barbe avec un rasoir aussi long qu’un sabre. indifférent à la scène, uniquement concentré sur le va-et-vient de sa lame. ça aurait pu continuer longtemps de la sorte, si le Français ne s’était écarté du mur et rapproché, en titubant, de la voiture. car le voici soudain qui s’agrippe à la portière en appelant au secours, ce qui n’empêche pas son copain de lui en remettre une. sans varier de refrain : « je suis ton copain ! oui, c’est moi, ton copain ! » si bien que le Français va s’écraser contre la carrosserie, mais si lourdement qu’elle accuse le coup, et que l’Italien qui est à l’intérieur ne peut que se couper, qu’il se rue hors de la voiture, la crème à raser auréolée de sang, gueulant « fils de pute ! », et qu’il se met à taillader le visage du Français, lequel tente de se protéger avec ses mains, sans que ça arrête l’Italien. « ah, tiens sale fils de pute ! »

c’est ma deuxième nuit à La Nouvelle-Orléans, et je suis loin d’être blindé, aussi je me précipite dans le premier bar ouvert, mais à peine m’y suis-je assis que le type d’à côté se retourne vers moi et me fait :

— Français ou Italien ?

— en fait, je suis né en Chine. mon père, un missionnaire, a été dévoré par un tigre alors que j’étais encore tout petit.

à ce moment-là, quelqu’un se met à jouer du violon, du coup je m’évite la suite du questionnaire. et je plonge le nez dans ma bière. sauf que, lorsque la musique prend fin, un autre type vient s’asseoir à la table voisine :

— je m’appelle Sunderson. vous me paraissez avoir besoin d’un job.

— c’est de fric dont j’ai besoin, parce que, pour ce qui est de bosser, je ne suis pas un enthousiaste.

— tout ce que vous aurez à foutre, c’est de poser chaque nuit votre cul sur cette chaise pendant quelques heures.

— qu’est-ce que ça cache ?

— dix-huit dollars par semaine, à condition de ne pas laisser traîner vos mains dans le tiroir-caisse.

— et comment m’en empêcherez-vous ?

— je filerai dix-huit autres dollars à un gus pour qu’il vous surveille.

— vous êtes français ?

— Sunderson. Anglo-écossais. un lointain parent de Winston Churchill.

— je me disais bien qu’il y avait quelque chose qui me posait problème chez vous.

Archives par mois