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Le cycle apocalyptique – Léon Degrelle

Le cycle apocalyptique – Léon Degrelle

Le vent souffle en rafales cinglantes, faisant siffler la neige en fléchettes. La rivière est gelée ; gelés, ses petits affluents qui couraient dans les crevasses ; gelés, les collines, les chardons des talus, les usines ruinées.
Mon coeur lui-même a pris froid, froid de ces mois de tension d’âme, de repliement dans une solitude inhumaine ; froid de se sentir pareil à ces arbres noirs qui ne bougent pas et que fouette la bise.
Détresse en tout…
Chacun est transi. Nous devons casser le pain froid. Nous enlevons au couteau les énormes plaques de boue de nos vêtements. Nous coupons de grandes tranches de glu noirâtre autour de nos souliers et de nos guêtrons.
Pas d’eau. Il faut aller à trois kilomètres pour puiser un liquide brun, rempli de débris d’herbe.
Aimons notre misère quand même, puisqu’elle nous élève, nous prépare à des destins qui réclament des cœurs purs et forts.

Le cycle des guerres est, désormais, apocalyptique : les ondes s’élargissent de plus en plus, croissent en vitesse et en force, pour s’étendre en un mouvement giratoire fabuleux.
Les guerres sont devenues des révolutions universelles.
Le monde entier est pris dans leur tourbillon : les armes s’entrechoquent, les forces économiques s’affrontent, se déchirent, les forces de l’esprit se livrent un duel sans pitié.
L’univers devra saigner, lutter, connaître les affres des fuites, les agonies des séparations. Des milliers d’hommes, des millions d’hommes devront regarder avec des yeux glacés ou fiévreux la Mort, toujours la même, c’est-à-dire toujours cruelle, déchirant le cœur en même temps que la chair.
Ce drame était inéluctable. Seuls les aveugles et les sots, c’est-à-dire presque tout le monde, croyaient qu’il s’agissait de conflits de nations rivales, conflits qui pourraient se localiser.
Or il s’agit de guerres de pseudo-religion implacables comme toutes les guerres religion, mais qui prendront des proportions quasi illimitées, atteignant jusqu’à la dernière banquise de Tahitiens ou de Lapons, qui auront à choisir comme tout le monde.

Quand, comment, ce prodigieux règlement de compte se clôturera-t-il ?
Nos vies seront longtemps traversées par ces éclairs. Nos enfants grandiront parmi les lueurs aveuglantes des idées-armes qui tombent ou qui triomphent.
Siècle où parfois le sang se glace devant l’ampleur du drame. Mais siècle pathétique où l’univers entier se refait, plus encore par l’esprit que par le fer.
Tragédie comme le monde n’en connut jamais de si complète, dont nous sommes tous les acteurs, mais où ce sont des cœurs qui jouent. Des millions de cœurs sont en scène, naïfs encore, ou mûris et muets, ou souillés, ou désarticulés.

A faire cent mètres entre les lignes boueuses, on rentre rompu, comme si on avait dû traverser un étang de colle forte.
Rien à faire.
Rien à lire. Nous n’avons qu’une misérable lampe à pétrole, avec une petite flamme jaunâtre qui éclaire un mètre carré de notre abri.
Il faut plus de courage pour vivre ainsi terrés dans la boue que pour avancer sur l’ennemi, mitrailleuse sous le bras. On sent monter la tentation, les voix sourdes, les questions
démoralisantes : « Que fais-tu là ? Ne vois-tu pas que tu perds ton temps ? Tes efforts ? Tes sacrifices ? Sait-on même encore que tu existes ? Ne gâche-t-on pas ton oeuvre pendant que tu moisis dans l’oubli…? »
Mais l’âme reprend vite sa sérénité ; elle sait que rien n’est plus précieux que ce renoncement, cette descente muette au fond de la conscience. La vraie victoire, la victoire sur soi-même, peut-elle mieux s’acquérir qu’au milieu de ces humiliations accueillies la tête haute, en dominant, sans geste inutile, la matière hostile, l’abandon du cœur et l’ennemi sournois qui voudrait assaillir l’esprit ?

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