L’appel au soldat – Maurice Barrès
(Extrait du chapitre VI)
À chacun de ces petits compliments naïfs, Sturel s’émerveillait, heureux comme un enfant au premier janvier, devant les révérences d’une magnifique princesse, sa poupée. Le visage fin de Thérèse de Nelles prenait dans ce fumoir et sous cette politique quelque chose d’un peu garçonnier, non pas un air ennuyé, mais plus appliqué, plus ferme qu’il ne convient à vingt-trois ans. Sa jeunesse, son teint mat, ses dents éclatantes, son sourire d’élève qui comprend, composaient à cette jeune femme que Sturel avait vu trembler de bonheur dans ses bras un ensemble exquis qui faisait sourire et qui émouvait. Alors il aurait voulu envoyer très vite l’insupportable Nelles à la Chambre, jeter cette cigarette, abandonner cette conversation et dire : « Ah ! je devine que vous êtes trop polie et que vous pensez à une seule chose, à notre tendresse. »
Cette tendresse et beaucoup d’après-midi de plaisir avec le jeune François avaient rafraîchi la peau délicate et avivé la prunelle de Thérèse. Par là elle atteignait à sa perfection. Et lui aussi serait un jeune homme parfait, s’il était possible d’aimer en même temps l’amour et la gloire, une belle jeune femme et une belle aventure, mais l’intensité ne s’obtient qu’au prix de sacrifices. Comment être à la fois excellent rue de Prony et excellent rue Dumont-d’Urville ? Certes, Sturel ne manque pas du goût des femmes ; il peut bien consacrer quelques heures à la satisfaction des sentiments voluptueux, mais il ne s’y enfonce pas avec insouciance, et, alors que le visage dans les cheveux défaits de son amie, il sent monter en lui une masse de sensations et de pensées poétiques dont jusqu’alors il n’a pas pris conscience, parfois une image s’interpose : « Le cou du Général va-t-il se cicatriser ? »