Laissez-moi vivre dans l’obscurité – Franck Venaille
(Extraits)
Laissez-moi vivre dans l’obscurité. Dis-je aux dames de compagnie.
L’obscur !
L’ami de la nuit. Notre bien à tous.
L’obscur c’est ce qui me reste lorsque j’ai payé mon denier du culte. Il pénètre à mes côtés dans la vaste pièce. Il rompt le temps. Il en fait l’atelier de larges tranches de sommeil.
Participa-t-il et sous quelle forme à ce qui m’est arrivé ? Çà ! Je n’en peux plus de mal respirer, mal de respirer mal en respirant.
S’impose dès lors la nécessité de dire toute la vérité. Je vous demande simplement de laisser vos rêves tenir la place qui leur est due dans la pièce obscure.
Mais il est plus que temps de se mettre d’accord sur le sens que nous lui donnons. Je lui demande : Que faites-vous là ? Êtes-vous simple d’esprit ? L’esprit simple :
Celui qui ne craint pas de vivre dans ce qui est plus sombre que le noir.
Ainsi je vais dans l’obscur, me répétant ces psaumes que, pour vous, je viens de composer. Éloignez de moi les pensées du petit jour. C’est peut-être grâce à cela que j’ai pu tordre le cou à ce (ceux) que vous savez.
L’obscur est notre pain quotidien.
C’est la nuit, dans la matière même du rêve, que nous mesurons le mieux son poids de détresse.
Ce sont les mots qui sortent de ma bouche.
Je pourrais dire qu’il s’agit d’un bruit nocturne
ma nuit est définitivement blanche
tandis que je suis dans la terreur
née de mes cauchemars adultes et de ce qu’ils montrent de moi-même, enfant
grand’pitié, c’est ce que je vous demande
grand’pitié !
Avec ivresse profonde les mots m’ont accueilli.
Il ne suffisait pas seulement de prendre la parole.
mais me tenir avec eux dans les marges du texte fut désormais possible.
Possible également de montrer à tous
ce qui se cache dans la caverne du langage.
Voyez ô voyez ! Comme les mots tremblent
et geignent ! Orphelins qui dans le noir
cherchent une autre famille