L’aimée – Gertrud Kolmar
Devant tes fortes pensées diurnes
Je suis debout fragile et bafouée,
Coupe aux guirlandes de fleurs
À laquelle s’habitue ta lèvre,
Tendre vaisseau, couronné
De pavot rouge et de nielles bleues
Pour inviter ton regard au breuvage
Que celui-ci offre à ta soif
Ainsi tintant gracieusement, mouchetée de multiples couleurs,
J’égaie ton retour et ta table,
J’attends arrondie et ansée,
Patiente et séduisante,
Que tu me cueilles d’un geste bref,
Pour jouir vite et sans égard ;
Il faut qu’ensuite je m’enferme dans le placard,
Jusqu’à ce qu’à nouveau tu me mettes sous la lampe.
Ah, je ne fus jamais là en ces heures
Où tu t’abaissais jusqu’au monde ;
Mon sang jaillissait en secret des plaies
Que tu es en droit d’ouvrir en mon sommeil.
Et, flatteuse, une main pâle les comprimait,
Elles qui, gouttes écarlates, toujours fleurissaient,
Que mes soins ne pouvaient préserver
Quand seule ton ivresse les retrouvait.
Tu vois mes cheveux, fardeau lourd et sombre,
Reposer tout en bas sur ma nuque,
Tu aimes les tirer, les empoigner
Et t’en faire une jungle alentour.
Moi-même, tu m’abats, branche et tronc,
Pour qu’obéissante je chauffe ton âtre :
Hors de tes nuits je veux essaimer
En un embrasement à la flamme vacillante
Et rester cendre et m’affliger.