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La ville se répand, indistincte, silencieuse – Fernando Pessoa

La ville se répand, indistincte, silencieuse – Fernando Pessoa

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Sous mes yeux mélancoliques la ville se répand, indistincte, silencieuse.

Les maisons s’inégalisent en conglomérat suspendu et la lune, en taches d’imprécision, stagne, nacrée, sur les cahots inertes de cette profusion. On voit des toits et des ombres, des fenêtres et du médiéval. Pas de place pour des faubourgs.

Sur tout ce qu’on voit flotte une lueur de lointains. Par-dessus l’endroit d’où je regarde, des branches d’arbres noires, et j’éprouve le sommeil de la ville entière dans mon âme découragée. Lisbonne sous la lune, et ma lassitude du lendemain !

Quelle nuit ! Plût à l’auteur des détails de ce monde qu’il n’y eût point pour moi de meilleur sujet d’étude, de plus belle mélodie que l’instant lunaire, isolé et saillant où, connu, je me vois me méconnaître.

Je dors, et il n’est brise ni présence pour interrompre des pensées que je ne forme même pas. J’ai sommeil de la façon passive dont je me sens en vie. Pourtant, je sens sur mes paupières comme un poids qui viendrait les alourdir. J’entends mon propre souffle.

C’est du plomb coulé dans tous mes sens que l’effort pour mouvoir mes pieds vers l’endroit où j’habite. La douceur de l’effacement, la fleur offerte de l’inutile, mon nom qui n’est jamais prononcé, mon anxiété soigneusement contenue entre ses rives, le privilège des devoirs cédés à d’autres — et, après le dernier tournant au fond du part ancestral, mon autre rêve, épanoui comme une tonnelle de roses.

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