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La vérité vraie – Charles Bukowski

La vérité vraie – Charles Bukowski

— les ’reuils sont passés chez moi.

— qu’est-ce que tu racontes ?

— la vérité vraie.

— des écureuils, tu veux dire ?

— non des ’reuils !

— ils étaient nombreux ?

— pas mal !

— et ensuite ?

— on a parlé.

— ils t’ont parlé ?

— absolument.

— et que t’ont-ils dit ?

— ils m’ont demandé si je voulais…

— voulais quoi ?

— si je voulais une dose.

— quoi ? qu’est-ce que tu racontes ?

— j’ai dit qu’ils m’ont proposé une dose.

— et qu’as-tu répondu ?

— j’ai refusé.

— et alors comment ils ont réagi, ces ’reuils ?

— « PARFAIT, C’EST COOL ! » qu’ils ont dit.

— j’ai vu maman avec Bill, puis avec Gene, et enfin avec Danny.

— ben, dis donc.

— c’est comme ça.

— est-ce que je peux toucher ce machin ?

— non.

— j’ai des seins, toi aussi, d’ailleurs.

— exact.

— regarde, je peux faire disparaître ton nombril, ça ne te fait pas mal, au moins ?

— pas du tout ! ce n’est que de la graisse.

— et c’est quoi, la graisse ?

— trop de moi là où ça ne devrait pas.

— oh !

— quelle heure est-il ?

— 5 h 25.

— et là, il est quelle heure ?

— toujours 5 h 25.

— mais à présent, c’est quelle heure ?

— écoute, le temps ne s’écoule pas aussi vite, il est encore 5 h 25.

— quelle heure est-il À L’INSTANT PRÉCIS ?

— je te le répète, 5 h 25.

— bon, et maintenant ?

— 5 h 25 et 20 secondes.

— attrape mon ballon.

— vas-y.

— mais qu’est-ce que tu fais ?

— je fais de l’escalade.

— ne tombe pas ! de là où t’es, si tu dégringoles, t’es cuite !

— je ne tomberai pas.

— fais attention.

— t’inquiète ! allons, regarde-moi.

— oh, mon dieu !

— et maintenant, je redescends. je redescends !

— o.k., mais pas question que tu remontes.

— ça va, le PUEUR !

— t’as dit quoi ?

— j’ai dit « le PUEUR ».

— c’est bien ce que j’avais cru entendre.

— maman est sortie avec Nick, avec Andy et aussi avec Rueben.

— ah, vraiment ?

— vooui.

— tu vas à l’école ?

— oui.

— j’aime pas que tu y ailles.

— dans ce cas, on est pareils.

— alors, n’y va pas.

— tu vois autre chose pour ramener plus tard du blé ?

— ben !

— comme tu dis !

— t’as ton stylo ?

— oui.

— tes clés ?

— oui.

— ton badge ?

— oui.

— eh bien, au boulot, au boulot, au boulot, au boulot…

— on est passés à la réunion hier soir.

— ah, vouais ?

— vouais.

— et c’était comment ?

— ça causait, ça ne faisait que causer, causer, et causer.

— et alors, t’as fait quoi ?

— je suis rentré me coucher.

— où as-tu été pêcher ces superbes grands yeux bleus ?

— je me les suis moi-même fabriqués.

— toi-même ?

— pardi !

— je vois.

— les tiens aussi sont bleus.

— mais non, ils sont verts.

— pas du tout, ils sont bleus !

— c’est probablement une question d’éclairage, la lumière n’est pas bonne chez toi.

— as-tu toi-même fabriqué tes yeux ?

— je crois qu’on m’a un peu aidée.

— tandis que moi je suis l’auteur de mes yeux, de mes mains, de mon nez, de mes pieds, et de mes coudes, de tout mon corps !

— parfois, j’ai le sentiment que tu dis vrai.

— donc, tes yeux sont bleus !

— o.k., ils le sont.

— j’ai pété – ah, ah, ah, – j’ai pété !

— t’as pété ?

— ben, voui.

— tu veux faire caca ?

— NON.

— tu n’as pas fait non plus pipi depuis des heures, t’as mal quelque part ?

— non. et toi ?

— je sais pas.

— pourquoi ?

— va savoir pourquoi !

— il est quelle heure ?

— 6 h 35.

— et maintenant ?

— toujours 6 h 35.

— et là ?

— encore 6 h 35.

— hé, le PUEUR ?

— quoi ?

— je t’ai traité de PUEUR, de PUEUR, de PUEUR !

— d’accord. va me chercher une bière.

— o.k… maman est sortie avec Danny, avec Bill et avec Gene.

— très bien, laisse-moi boire ma bière.

elle se sauve et commence à fourrer des blocs, des trombones, des élastiques, des rallonges électriques, des timbres cadeaux, des enveloppes, des réclames publicitaires, et une statuette de Boris Karloff dans son cartable. je sirote ma bière.

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