La vagabonde – Gertrud Kolmar
J’ai saisi convulsivement une vie,
Suis morte de vingt morts,
J’ai été piétinée avec les fleurs
Et gâchée avec la mauvaise herbe.
La bardane ne s’envole pas de la tignasse
Avec les herbes et les tiges et les fibres ;
Le monde secoue la tête pour se défaire de moi,
Et pourtant je reste accrochée à lui !
Miens sont les feux de la terre
Et le vent, qui souffle pour faire sautiller ;
Demain le berger poussera le troupeau
Sur un gazon noirâtre miteux ;
J’ai été épanchée avec les flammes
Et dissipée avec les vibrations de l’air,
J’ai dévoré mon compagnon des champs
Et l’ai refendu comme bois mort.
Les gens fouillent dans les livres
Et n’arrachent de chaque loi
Et ne font reluire avec les plus doux chiffons
Que la bousculade de leur labeur ;
Ils n’ont pas volé de poule
Et harnachent un cheval acquis à la triche,
Je ne cours, moi, que sur les semelles,
Et mon esprit se dresse clair comme le ciel.
Ils gardent encore bien des choses
Outre la fumée de la cheminée,
Sur quoi je trébuche et saute
Et dont surtout je n’ai pas besoin.
Ils s’étalent comme routes
Et ne savent pas où ils finissent :
Je ne suis qu’un bouquet des champs
Et me tiens moi-même dans les mains.