Sélectionner une page

La sirène du Sotoportego dei preti

La sirène du Sotoportego dei preti

A quelques mètres de la salizada del Pignater à Venise, vous verrez à droite la petite arche du sotoportego dei Preti. Empruntez-la et retournez-vous pour regarder au-dessus de votre tête. Ce cœur en brique bâti sur le sommet de l’arche est un porte bonheur. Si deux amoureux le touchent ensemble, leur amour est destiné à durer éternellement.

La présence de ce coeur n’est pas un hasard. L’étrange décoration se trouve en effet là depuis longtemps, depuis une époque où réalité et magie partageaient pacifiquement la même dimension.

Lorsque la ville fut créée, et que les frontières entre les différents mondes n’étaient pas marquées comme aujourd’hui, vivait un jeune pêcheur prénommé Orio. Une nuit, jetant ses filets au large de Malamocco, il les trouva étrangement lourds au moment de les hisser à bord de son embarcation.

« Libère-moi je t’en prie. Libère-moi et tu n’auras pas à le regretter. » dit une voix douce et préoccupée qui arrivait de l’eau. L’obscurité empêchant de distinguer quoi que ce soit, le jeune pris par surprise fit un bond en arrière et dégringola dans le fond de sa barque. Il entendit alors un délicat rire cristallin, sincèrement amusé, et deux mains féminines emprisonnées dans les filets, suivies d’un magnifiques visage, apparurent d’un côté de l’embarcation.

« Excuse-moi, je ne voulais pas t’effrayer » dit celle qui s’avéra être un très belle jeune fille. « Libère-moi, je t’en prie ».

Orio s’activa, touché par tant de beauté, et commença aussitôt à l’interroger tandis qu’il la libérait du filet. « Que fais-tu dans l’eau à cette heure de la nuit ? » « Mon jeune ami, je suis tout simplement une sirène. Mon nom est Mélusine. » dit-elle, tandis qu’une splendide queue de poisson s’élevait du côté de la barque.

Orio était stupéfait, et en même temps charmé par la grâce de la jeune femme.

La conversation se prolongea jusqu’au lever du jour, et tous deux se quittèrent en se promettant de se rencontrer à nouveau chaque nuit sur une plage voisine.

Ainsi tous les jours, Orio attendait Mélusine, assis dans les eaux basses de la rive, et la sirène arrivait à coup sûr, puis remplissait son filet en quelques minutes au petit matin, à la fin de leurs rencontres. Plusieurs fois le pêcheur avait demandé sa main à la sirène, et elle s’était déclarée heureuse de renoncer à la liberté de la mer en l’échange d’une paire de jambes. La seule contrainte imposée par la jeune femme était qu’il ne se montre pas le samedi, jusqu’au jour des noces.

Tout continua bien pendant deux semaines. Mais le troisième samedi, n’y tenant plus, le pêcheur se rendit à l’endroit habituel. Une fois arrivé il ne vit personne. Il attendit un bon moment, mais rien.

Il était sur le point de partir lorsqu’un grand serpent de mer surgit des rochers voisins, passa rapidement devant ses pieds. Effrayé, le pauvre Orio couru à toutes jambes le long de la plage. S’étant posé plus loin pour respirer un peu, il entendit une voix venant de l’eau.

« Nigaud, pourquoi es-tu venu aujourd’hui ? Je t’avais dit de ne pas venir le samedi. Ce jour là je dois me transformer en poisson à cause d’un maléfice ancien. Mais après nos noces, je resterai toujours belle comme tu m’as connue. »

Le mariage eut donc lieu, et fut immédiatement réussi. Heureux ensembles, les deux jeunes eurent vite trois enfants.

Mais un jour, Mélusine tomba gravement malade, et mourut en peu de temps. Avant de disparaître, elle demanda à son mari que son corps fut porté en mer, à l’endroit où ils s’étaient connus. Ce qu’il fit.

L’homme était désespéré. Outre la perte de sa bien aimée, il était débordé par ses enfants, sa maison, et ne s’en sortait pas.

Dès le deuxième jour du deuil, il s’aperçu que tout était régulièrement nettoyé, et que ses enfants étaient toujours bien mis. Ne trouvant pas de raison rationnel à cela, Orio, ému, pensa qu’une voisine pleine de compassion venait en cachette l’aider à ses tâches ménagères.

Un samedi matin, rentré chez lui plus tôt que d’habitude, il trouve un grand serpent dans la cuisine. Dans une panique absolue, il pris sa hachette et lui trancha la tête. Avant de la jeter, il la montre aux gens du voisinage pour leur montrer quelle disgrâce aurait pu arriver s’il n’était pas rentré à temps.

Mais dès cet instant, maison et enfants furent soudain négligés.

Orio, le coeur plein de désespoir, compris alors ce qu’il avait fait. Le serpent était sa chère et douce Mélusine qui venait, sans se faire voir, effectuer les travaux de la maison et s’occuper des enfants. Et lui, sans le savoir, l’avait définitivement tuée.

C’est en souvenir de cette histoire que le cœur de pierre a été placé là où, jadis, s’élevait la maison d’Orio et Mélusine.

Archives par mois